La société civile exhorte le président français Macron à tenir compte du bilan de l'Arabie saoudite en matière de droits humains lors de la visite du prince héritier à Paris

June 21, 2023

Dirigées par MENA Rights Group, des organisations de la société civile ont écrit une lettre conjointe au président français Emmanuel Macron lors de la visite du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à Paris, l'exhortant à tenir compte des violations généralisées des droits humains qui se produisent dans le Royaume.

Paris, FRANCE - July 28 2022: The french president Emmanuel Macron welcoming the President of the Crown Prince of Saudi Arabia Mohammed bin Salman at Elysée Palace for working lunch. © Frederic Legrand - COMEO / Shutterstock.

Objet : Visite du prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed Bin Salman, en France

Monsieur le Président,

Nous nous permettons de vous adresser cette lettre afin de vous faire part de notre sincère préoccupation quant à l'accueil du Prince Héritier Mohammed Bin Salman en France et au Palais de  l'Élysée.

Cette réception contribue non seulement à voiler le bilan catastrophique de l'Arabie saoudite en matière de droits humains durant ces dernières années, mais également à encourager le prince héritier Mohammed Bin Salman à continuer de commettre ces violations. Dès son accession au pouvoir en 2017, Mohammed Bin Salman a très rapidement centralisé l’entièreté de son appareil sécuritaire afin de le placer sous le pouvoir exclusif du Roi, en créant notamment de nouvelles institutions judiciaires et sécuritaires. Cette centralisation lui a permis d’entamer une vague de répression sans précédent contre des opposants à son pouvoir et de commettre des violations flagrantes au droit international des droits humains. Parmi ces violations, nous avons pu noter des cas de disparitions forcées, de détentions arbitraires, des actes de torture et des mauvais traitements, en particulier contre des personnes exerçant leurs droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique, et d’association.

L'Arabie saoudite continue d'emprisonner certains défenseurs et défenseuses de droits civils, politiques et de droits des femmes. Vous vous souvenez peut-être des cas déchirants de Salma al-Shehab et Noura al-Qahtani, qui avaient été condamnées en 2022 à, respectivement, 27 et 45 ans de prison pour avoir simplement tweeté, tout en étant soumises à des actes de torture en prison. Également, Loujain al-Hathloul, éminente défenseuse des droits humains saoudienne qui a fait campagne contre l'interdiction de conduire faites aux femmes et contre le système de tutelle masculine, avait été condamnée en décembre 2018 à cinq ans et huit mois de prison, où elle a été torturée et harcelée sexuellement.

Sous le règne de Mohammed Bin Salman, les autorités saoudiennes ont maintenu Mohammed al-Qahtani, éminent défenseur des droits humains et cofondateur de l'Association saoudienne pour les droits civils et politiques (ACPRA), dans des conditions de détention inhumaines. Malgré avoir purgé sa peine de 10 ans de prison, sa libération n’a toujours pas eu lieu en dépit des appels répétés de la société civile internationale, des appels urgents de l'ONU et des nombreuses préoccupations exprimées par plusieurs États. De plus, les autorités saoudiennes ont délibérément omis d’administrer des besoins médicaux à Abdullah al-Hamid, collègue d'al-Qahtani et militant pacifique saoudien, entraînant son tragique décès en détention en avril 2020.

Ces cas sont loin d'être isolés et démontrent que Mohammed Bin Salman continue d’annihiler tout espace pour la liberté d’expression et d’opinion en Arabie saoudite. Des centaines de personnes, y compris des femmes, qui osent s'engager en faveur des droits humains et s'opposer au régime saoudien, risquent de faire face à la répression de Mohammed Bin Salman. Récemment, Manahel al-Otaibi, une instructrice de fitness saoudienne âgée de 29 ans seulement, a été arrêtée en novembre 2022 pour des publications sur Twitter et Snapchat appelant à la fin de la tutelle masculine et à d’autres réformes sociales.

Au cours, de ces six dernières années, l'Arabie saoudite a fait la une des médias internationaux pour avoir doublé le nombre d’exécutions, et cela malgré les promesses répétées des autorités de réduire le recours à la peine de mort. Les autorités saoudiennes ont exécuté 81 personnes en une seule journée en mars 2022. Plus de la moitié d'entre elles appartenaient à des minorités religieuses. En 2022, les autorités ont exécuté 147 personnes, soit environ le double de l’année précédente. Ce nombre officiel serait apparemment inférieur au nombre réel d'exécutions, car la Commission saoudienne des droits de l'homme a révélé à Amnesty International que l'Arabie saoudite avait en réalité exécuté 196 personnes en 2022. Cette année, les autorités ont déjà annoncé l'exécution de 50 personnes et ont condamné à mort au moins neuf jeunes hommes pour des « infractions » qui auraient été commises alors qu'ils étaient mineurs.

Nous vous rappelons également que suffisamment de preuves indiquent l'implication personnelle de Mohammed Bin Salman dans l’exécution extra-judiciaire de Jamal Khashoggi, selon les rapports des services de renseignement américains et le rapport de l’ancienne Rapporteuse Spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, Agnes Callamard, publié en juin 2019. Callamard, qui est une citoyenne française, a subi de violentes menaces de la part de responsables saoudiens qui étaient prêts à “s'occuper d'elle". Accueillir le prince héritier en France est un mépris évident de la cruauté de son gouvernement envers ses propres citoyens et quiconque qui tente de le tenir responsable pour ses crimes.

Il semble que la visite du prince héritier en France vise en réalité à solliciter un soutien de la France pour la candidature de l'Arabie saoudite à l'Expo 2030. Nous voudrions réitérer notre appel collectif à exclure la candidature de l'Arabie saoudite en tant qu'État hôte de l'Exposition Universelle en 2030. En particulier, nous vous demandons de bien vouloir prendre en considération tous les éléments à charge que nous vous avons exposé, en particulier l'utilisation régulière de la peine de mort, la répression sans précédent des défenseurs et défenseuses des droits humains et droits des femmes, ainsi que les attaques contre des dissidents au-delà des frontières saoudiennes, et les restrictions disproportionnées portées aux libertés d'expression, de réunion pacifique et d'association.

L'Exposition universelle de 2030 ne fera pas exception à l’indifférence du prince héritier dans la poursuite de projets extravagants, quel qu’en soit le coût humain. Par exemple, l'Arabie saoudite affirme que son projet de ville intelligente NEOM sera "un accélérateur du progrès humain qui incarnera l'avenir de l'innovation dans les affaires, la qualité de vie et la durabilité". En réalité, depuis 2020, la construction de NEOM a contribué aux déplacements forcés de tribus indigènes dans la province de Tabuk. Certains membres ont par ailleurs été punis de manière disproportionnée pour avoir résisté à l'expulsion. Par exemple, plusieurs membres de la tribu al-Huwaitat ont été condamnés à mort ou à des peines de prison de plusieurs décennies sur la base de fausses accusations de « terrorisme ». Un groupe d'experts de l'ONU a récemment dénoncé ces violations et exhorté "toutes les entreprises impliquées, y compris les investisseurs étrangers, à s'assurer qu'elles ne causent pas ou ne contribuent pas et ne soient pas directement liées à de graves violations des droits de l'homme".

Nous vous exhortons, Monsieur le Président, à soulever toutes les questions susmentionnées directement avec le prince héritier Mohammed Bin Salman et à en tenir compte dans vos futurs engagements avec les autorités saoudiennes.

Nous vous prions d’agréer, cher Président, l’expression de nos plus respectueuses salutations. 

Signataires:

ALQST for Human Rights

CIVICUS

Democracy for the Arab World Now (DAWN)

European-Saudi Organization for Human Rights (ESOHR)

Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH)

Gulf Centre for Human Rights

HuMENA for Human Rights and Civic Engagement

Human Rights Foundation

MENA Rights Group

World Organisation Against Torture (OMCT)

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