Examen périodique universel du Maroc : L’occasion pour les autorités de faire face au recul continu des droits humains ?

April 10, 2023

Le 8 novembre 2022, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies (CDH) a tenu son 4ème cycle de l’Examen Périodique Universel (EPU) du Maroc. L’EPU est un mécanisme d'examen par lequel les États membres de l’ONU fournissent des recommandations pour améliorer le bilan des pays examinés en matière de droits humains. Avant l'examen, en mars 2022, le MENA Rights Group a soumis un rapport alternatif présentant une série de recommandations.

Human Rights Council - 18th Session © UN Photo/Jean-Marc Ferré, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.

À l'issue du 4ème cycle de l'EPU, le Maroc a informé le Conseil des droits de l’homme de sa décision d’accepter 232 des 306 recommandations qu'il avait reçues. Le Maroc a accepté la plupart des recommandations relatives à l'interdiction de la torture, à l'indépendance du pouvoir judiciaire et aux libertés d'expression, de réunion et d'association. Pourtant, la plupart de ces recommandations n'ont pas été mises en œuvre et le bilan du Maroc sur ces questions reste très préoccupant.

Nous, MENA Rights Group et l'Association marocaine des droits humains (AMDH), avons contribué au processus de l’EPU en amont en soumettant respectivement deux rapports alternatifs contenant une liste de recommandations qui ont été diffusées parmi les États examinateurs. Le rapport de MENA Rights Group est disponible ici, et l'AMDH a soumis un rapport conjoint avec sept autres ONG nationales.

Torture et mauvais traitements

Trois pays ont formulé des recommandations relatives à l'interdiction de la torture et des mauvais traitements, dont une n'a pas été acceptée. Bien que le Maroc ait accepté la recommandation de l'Indonésie de « poursuivre les efforts en vue de réaliser des progrès mesurables afin de prévenir tout acte de torture et de mauvais traitement, y compris lors de l'arrestation, de l'interrogatoire et de la détention », les autorités n'ont pas accepté de « prendre des mesures supplémentaires afin d’améliorer l'accès à la justice et à des voies de recours effectives pour les groupes vulnérables, dont les minorités et les victimes de torture ».

Ceci est d'autant plus préoccupant du fait que la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits humains a déclaré que « les défenseurs des droits de l'homme travaillant sur des questions liées aux droits de l’homme au Maroc et au Sahara occidental continuent d’être [...] soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants, ainsi qu’à la torture ».

D'autres rapports révélateurs d'abus ont fait surface ces dernières années. Dans une affaire préoccupante datant de 2019, les autorités marocaines ont soumis la journaliste Hajar Raissouni à un examen physique invasif non consenti constitutif d’une violation de l'interdiction de la torture ou d'autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le 2 octobre 2019, elle a été condamnée pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage » avant d’être libérée après avoir bénéficié d'une grâce royale.

Plus récemment, le 23 juin 2022, au moins 23 hommes africains sont morts à la frontière entre l'Espagne et le Maroc à Mellila en raison de l'usage excessif de la force par les forces de sécurité marocaines, notamment par des passages à tabac. L'incident s'est produit alors qu'environ 2’000 personnes tentaient d'entrer en Espagne en escaladant les hautes clôtures métalliques qui entourent l'enclave espagnole.

Le principe de non-refoulement

Durant l’EPU, le Canada a recommandé au Maroc de « réviser la loi n° 02-03 afin de garantir que les droits des migrants et des enfants migrants non accompagnés, des demandeurs d'asile et des réfugiés soient respectés en tout temps, conformément au droit international ». Le Sénégal a fait écho à cette recommandation en recommandant au Maroc de « poursuivre ses efforts afin de finaliser le projet de loi relative à l’asile de manière conforme aux normes internationales ».

Bien qu’il ait accepté ces deux recommandations, le Maroc continue de violer l'obligation de non-refoulement inscrite dans la Convention contre la torture à laquelle il est partie.

En 2021, le Maroc a extradé Osama al-Hasani vers l'Arabie saoudite, où il est actuellement emprisonné, et ce malgré la demande du Comité des Nations unies contre la torture de suspendre l'extradition. De même, en février 2023, le Maroc a procédé à l’extradition de Hassan al-Rabea, issu de la minorité chiite saoudienne, vers l'Arabie saoudite, l'exposant ainsi à de graves violations des droits humains.

Enfin, depuis son arrestation lors de son arrivée à Casablanca en juillet 2021, le demandeur d'asile ouïghour Yidiresi Aishan demeure sous la menace d'une extradition du Maroc vers la Chine. En effet, la Cour de cassation de Rabat a approuvé son extradition sans tenir compte des risques de torture dont il pourrait faire l’objet en Chine compte tenu de la situation actuelle des droits humains dans la région autonome du Xinjiang, où des violations systématiques et massives commises à l'encontre de la minorité ouïghoure ont été documentées.

Indépendance du pouvoir judiciaire

Sept pays ont recommandé au Maroc d'intensifier ses efforts afin de réformer son système judiciaire. Seule l'Australie a explicitement fait mention de l'indépendance du pouvoir judiciaire, en invitant le Maroc à « garantir et défendre l'indépendance et l'impartialité totales du pouvoir judiciaire dans la pratique, et à veiller à ce que les juges ne soient pas soumis à des pressions ou à des ingérences extérieures dans l'exercice de leurs fonctions » ; recommandation acceptée par le Maroc.

Bien que le Maroc ait accepté ces sept recommandations, son système judiciaire demeure fortement influencé par le pouvoir exécutif. Cela s’explique principalement par le fait que le roi est le seul à présider le Conseil supérieur de la magistrature. En outre, les tribunaux rendent rarement des décisions équitables et équilibrées, et les dissidents qui comparaissent devant les tribunaux marocains sont souvent jugés dans le mépris total des garanties d’un procès équitable.

La liberté d'expression à l'ère de la cybersurveillance

Quinze États membres ont formulé des recommandations visant à garantir la liberté d'expression, d'opinion, de réunion pacifique et d'association, notamment par la modification de la législation marocaine en la matière. Par exemple, les Pays-Bas ont vivement conseillé au Maroc de « réviser les dispositions du code pénal relatives à la liberté d'expression conformément à l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ».

Malgré l'acceptation de ces recommandations, la législation marocaine continue de punir les délits d'expression non violents. Bien que le code de la presse et de l’édition ne prévoie pas de peines d'emprisonnement pour les délits d'expression, le code pénal prévoit des peines d'emprisonnement pour une série de délits tels que porter atteinte au roi ou aux membres de sa famille ou porter préjudice au régime monarchique, à l'islam ou à l'intégrité territoriale du Maroc, considérés comme des « lignes rouges ».

En outre, en réponse à une recommandation formulée par les États-Unis, le Maroc a accepté de « veiller à ce que les journalistes, les défenseurs des droits humains et d'autres individus ne soient pas poursuivis ou détenus pour avoir exercé leurs droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique ou d'association, et de s'assurer que tous les individus bénéficient des garanties d’un procès équitable ».

Ces dernières années, le Maroc a connu une série d'arrestations, de harcèlements judiciaires et d'emprisonnements de journalistes indépendants, d'activistes et de politiciens en raison de leurs écrits et de leurs travaux critiques, sur la base d'accusations forgées de toutes pièces, notamment d' « agression sexuelle », de « servir une politique étrangère » ou de « blanchiment d'argent ».

En juillet 2021, Soulaimane Raissouni, rédacteur en chef du quotidien Akhbar Al Yaoum, a été condamné à cinq ans de prison pour agression sexuelle. En septembre 2019, sa nièce, Hajar Raissouni, également journaliste pour le journal, a été condamnée à un an de prison pour « avortement illégal » et « débauche ».

En 2019, l'ancien directeur d'Akhbar Al Yaoum, Taoufik Bouachrine, a été condamné en appel à 15 ans de prison pour « traite d'êtres humains », « abus de pouvoir à des fins sexuelles », « viol » et « tentative de viol ». En juillet 2021, le journaliste d'investigation Omar Radi a été condamné à six ans de prison pour de multiples chefs d'accusation, dont l’espionnage et le viol d'une collègue.

En janvier 2021, le défenseur des droits de l'homme Maati Monjib a été condamné à un an de prison pour « atteinte à la sûreté intérieure de l'État » et « escroquerie ». Au moment de sa condamnation, il se trouvait en détention provisoire pour des accusations de blanchiment de capitaux.

Plus récemment, en novembre 2022, l'avocat défenseur des droits humains Mohammed Zian a été condamné à trois ans de prison pour 11 chefs d'accusation. Zian s’était montré de plus en plus critique à l'égard du système de sécurité et de surveillance du Maroc, et avait ouvertement défendu des dissidents et des journalistes emprisonnés tels que Taoufik Bouachrine et Nasser Zefzafi.

Bien que plusieurs États aient recommandé la mise en place d'un « environnement sûr et favorable à la société civile », il est regrettable qu'aucun État membre n'ait abordé la question de l'utilisation de la cybersurveillance contre les journalistes et les défenseurs des droits humains. Cela aurait été particulièrement pertinent au vu de la mention du Maroc parmi les clients de la société israélienne NSO group lorsque le scandale Pegasus a fait surface en 2016.

Liberté d'association

Le Maroc a partiellement accepté une recommandation formulée par les États-Unis incitant le gouvernement à « approuver les demandes de licence de toutes les associations non gouvernementales cherchant à s'enregistrer conformément à la loi, y compris les organisations défendant les intérêts des membres de populations minoritaires, et à délivrer des reçus officiels aux ONG immédiatement après leurs demandes d'enregistrement ».

Bien que cette recommandation ait été partiellement acceptée, il convient de rappeler que la législation régissant le droit de former des associations contient des termes larges et vagues pouvant être utilisés pour entraver leur création.

En décembre 2018, le tribunal civil de première instance de Casablanca a ordonné la dissolution de Racines, une organisation culturelle qui avait précédemment hébergé un talk-show en ligne intitulé 1 Dîner 2 Cons au cours duquel les participants discutaient des discours et des politiques du roi de manière critique. Les autorités ont affirmé que le groupe avait « organisé une activité incluant des interviews parsemées d'outrages évidents aux institutions […] [et dans lesquelles] ont été exprimées des opinions politiques très éloignées des objectifs pour lesquels l'association a été créée. »

Conclusion

A l'issue du 4ème cycle de l'EPU, le Maroc devrait mettre en œuvre les recommandations qu'il a acceptées de manière effective. Plus précisément, nous appelons les autorités à se conformer à leurs obligations en vertu de la Convention contre la torture, à abroger les lois restreignant le droit à la liberté d'expression et à permettre aux défenseurs des droits humains et aux journalistes d'exercer leurs activités sans crainte de représailles. Les autorités devraient également cesser de recourir à la cybersurveillance contre les dissidents, les défenseurs des droits humains et les journalistes.

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