Détention arbitraire du journaliste algérien Ihsane El Kadi

Détention arbitraire du journaliste algérien Ihsane El Kadi

À la suite du mouvement de contestation pro-démocratie Hirak, le journaliste algérien Ihsane El Kadi a fait l’objet de plusieurs poursuites directement liées à l’exercice de sa profession de journaliste. Même si deux d’entre elles ont été classées sans suite, il a été condamné le 7 juin 2022 par le tribunal de Sidi M’Hamed à Alger à six mois de prison ferme, sans mandat de dépôt, pour un article d’opinion publiée sur la plateforme Radio M. Dans une affaire distincte, il a été arrêté le 24 décembre 2022, puis mis en détention provisoire le 29 décembre 2022 dans l’attente de son procès. Il est poursuivi en vertu des articles 95, 95 bis et 96 du Code pénal relatifs à la réception de financements étrangers à des fins de propagande politique. En avril 2023, il a été condamné à 5 ans de prison dont 3 fermes.

Ihsane El Kadi est journaliste et Directeur du pôle Média d’Interfaces Médias, qui édite la station Radio M et le site d’information Maghreb Émergent. Ces deux plateformes sont considérées comme faisant partie des derniers médias indépendants en Algérie.

En 2019-2021, El Kadi avait manifesté son soutien au mouvement de protestation pro-démocratie Hirak en Algérie et les médias qu’il dirige ont continué à couvrir les manifestations populaires. En trois ans, il a été poursuivi dans le cadre de quatre affaires distinctes, qualifiées par ses soutiens d’un « acharnement judiciaire ».

Suite à un article d’opinion publié sur le site de Radio M le 23 mars 2021 appelant à l’inclusion de tous les courants idéologiques dans le Hirak y compris du mouvement Rachad , le ministre de la communication de l’époque, Amar Belhimer, avait engagé des poursuites contre El Kadi pour « diffusion de fausses informations à même de porter atteinte à l’unité nationale », « perturbations des élections » et « réouverture du dossier de la tragédie nationale ». El Kadi a été placé sous contrôle judiciaire mardi 18 mai par le juge d’instruction près le tribunal de Sidi M’hamed dans le cadre de cette affaire. Pour rappel, le mouvement Rachad et le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK) ont par la suite, en mai 2021, été considérés par le Haut Conseil de Sécurité comme organisations terroristes.

El Kadi a été arbitrairement interpellé par les services de sécurité à la sortie de son bureau à Alger-centre, le 10 juin 2021, à la veille des élections législatives. Il a ensuite été interrogé à la caserne d'Antar et libéré 30 heures après. D’après Amnesty International, son  arrestation est un acte de répression contre les droits à la liberté d'expression et d'association à l'approche d’élections législatives contestées.

Le 24 février 2022, El Kadi est cité, sans être arrêté, dans le dossier de l’activiste Zaki Hannache suite à la présentation de ce dernier devant le juge d’instruction du tribunal de Sidi M’hamed. Hannache avait alors été inculpé, entre autres, d’« apologie du terrorisme », de « réception de fonds d’une institution à l'intérieur ou à l'extérieur du pays » et d’ « atteinte à la sécurité de l'État ». Pour rappel, Hannache avait été arrêté le 18 mars 2022 avant d’être libéré provisoirement le 30 mars 2022.

Dans le cadre d’une autre procédure, El Kadi a été informé le 20 mars 2022 qu’il était poursuivi pour « appartenance à une organisation terroriste » suite à une audition en liberté devant le juge d’instruction du tribunal de Larbâa Nath Irathen, dans la wilaya de Tizi Ouzou. Le dossier a été transféré ensuite au tribunal de Sidi M’hamed.

Au terme de la procédure engagée par l’ancien ministre de la Communication, El Kadi a été condamné, le 7 juin 2022, par le tribunal de Sidi M’Hamed à Alger à six mois de prison ferme et à 50 000 Dinars d’amende (≃320 Euros). Même si la peine n’a pas été accompagnée d’un mandat de dépôt, cette condamnation va notamment à l’encontre de l’article 54 de la Constitution algérienne de 2020 qui prévoit que « le délit de presse ne peut être sanctionné par une peine privative de liberté».

Le 17 novembre 2022, les différentes accusations de terrorisme visant El Kadi ont toutes été abandonnées.

Dans la nuit du 23 au 24 décembre 2022, après minuit, des membres de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ont arrêté El Kadi. Le lendemain, le siège d’Interface Médias, a été perquisitionné et mis sous scellés. Il a ensuite été placé en garde à vue à la caserne d’Antar.

Au cours de sa garde à vue, le 25 décembre 2022, le tribunal Sidi M’hamed à Alger a confirmé le jugement de première instance prononcé en première instance dans le cadre de la procédure engagée par l’ancien ministre de la Communication. Le procès en appel avait eu lieu le 18 décembre 2022.

Si l’article 51 du Code de procédure pénale algérien prévoit que « la garde à vue ne peut excéder 48 heures, ce même article précise que la garde à vue peut être prolongée sur autorisation écrite du procureur de la République compétent deux fois, lorsqu'il s’agit d'atteinte à la sûreté de l’État.

Ainsi, le 29 décembre 2022, le parquet a annoncé le placement d’El Kadi en détention provisoire, expliquant qu’il est poursuivi pour «réception de fonds d’une source étrangère à des fins de propagande politique», «réception de fonds et d'avantages d'organismes et de personnes de l'intérieur du pays et de l'étranger dans l'intention de commettre des actes susceptibles d'attenter à la sécurité et à la stabilité de l'Etat, à l'unité nationale et à l'intégrité territoriale » et «publication au grand public de contenus de nature à nuire à l'intérêt national et collecte de dons sans autorisation ». Ces poursuites constituent la quatrième affaire visant El Kadi.

Les avocats d’El Kadi ont introduit une demande de libération provisoire le 2 janvier 2023. Cette demande aurait dû être examinée le 18 janvier 2023. L’examen de cette demande a été cependant ajourné à une date antérieure : le 15 janvier, la chambre d’accusation de la Cour d’Alger a décidé de maintenir El Kadi en détention provisoire. Ni El Kadi, ni ses avocats n’ont assisté à cette audience faute d’avoir été prévenu préalablement.

En réaction, le collectif des avocats d'Ihsane El Kadi considère que « le comportement de la Chambre d'accusation près la cour d'Alger constitue une violation flagrante des dispositions constitutionnelles précitées, du Code de procédure pénale et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, une violation du droit du journaliste, provisoirement incarcéré, à un procès équitable, et un manque de respect par l'exclusion de l'équipe de la défense en tant que partenaire essentiel dans la quête de la justice ».

El Kadi est actuellement en détention provisoire au centre pénitentiaire d’El-Harrach.

Le 17 janvier 2023, MENA Rights Group a sollicité l’intervention d’un mécanisme international de recours individuel.

Le 2 avril 2023, le tribunal de Sidi M’Hamed à Alger a condamné Ihsane El Kadi à 5 ans de prison dont 3 fermes.

Le 18 juin 2023, sa peine a été portée en appel à 7 ans de prison dont 2 ans avec sursis par la Cour d’appel d’Alger.

Le 12 octobre 2023, la Cour suprême rejette le pourvoi en cassation d’El Kadi et confirme la condamnation à 7 ans de prison.

Timeline

12 octobre 2023: la Cour suprême rejette le pourvoi en cassation d’El Kadi et confirme la condamnation à 7 ans de prison.
18 juin 2023 : la peine d'Ihsane El Kadi est portée en appel à 7 ans de prison, dont 2 ans avec sursis.
2 avril 2023: le tribunal de Sidi M’Hamed à Alger condamne Ihsane El Kadi à 5 ans de prison dont 3 fermes.
17 janvier 2023 : MENA Rights Group sollicite l’intervention d’un mécanisme international de recours individuel.
15 janvier 2023 : la chambre d’accusation de la Cour d’Alger décide de maintenir El Kadi en détention provisoire.
2 janvier 2023 : les avocats d’El Kadi introduisent une demande de libération provisoire.
29 décembre 2022 : El Kadi est poursuivi en vertu des articles 95, 95 bis et 96 du Code pénal, relatif à la réception de financements de l’étranger et placé en détention provisoire.
25 décembre 2022 : El Kadi est condamné en appel à six mois de prison ferme dans le cadre de la procédure initiée par l’ancien ministre de la Communication, Amar Belhimer ; le siège d’Interface Médias est perquisitionné et mis sous scellés.
24 décembre 2022 : El Kadi est arrêté.
17 novembre 2022 : les différentes accusations de terrorisme visant El Kadi sont toutes abandonnées.
7 juin 2022 : El Kadi est condamné par le tribunal de Sidi M’Hamed à Alger à six mois de prison et à 50 000 Dinars d’amende dans le cadre de la procédure initiée par l’ancien ministre de la Communication, Amar Belhimer.
20 mars 2022 : le juge d’instruction près du tribunal de Larbâa Nath Irathen informe El Kadi qu’il est poursuivi pour « appartenance à groupe terroriste ».
24 février 2022 : Zaki Hannache est présenté au juge d’instruction du tribunal de Sidi M’hamed et inculpé, entre autres, d’ « apologie du terrorisme », de « réception de fonds d’une institution à l'intérieur ou à l'extérieur du pays » et d’ « atteinte à la sécurité de l'État » et placé en détention provisoire ; la mise sous mandat de dépôt de Zaki Hannache est accompagnée d’une mise en accusation d’El Kadi dans le même dossier.
18 février 2022 : le défenseur des droits humains Zakaria « Zaki » Hannache est arrêté.
10 juin 2021 : El Kadi est arrêté et longuement interrogé au sein de la caserne d’Antar.
Fin mars 2021 : l’ancien ministre de la Communication, Amar Belhimer, porte plainte contre El Kadi suite à la publication d’un article d’opinion publié sur Radio M le 23 mars 2021.

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