September 24, 2021
24 septembre 2021
Monsieur le Commissaire aux Droits de l’Homme et à l’Action Humanitaire et aux Relations avec la Société Civile, Cheikh Ahmedou Ould Ahmed Salem Ould Sidi,
Nous, les organisations signataires, mauritaniennes, régionales et internationales, vous écrivons au sujet de la mise en œuvre des recommandations prioritaires formulées par le Comité des droits de l’Homme de l’ONU dans ses Observations finales d’août 2019 concernant le deuxième rapport périodique de la Mauritanie.
En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) depuis 2004, la Mauritanie devait soumettre un rapport de suivi avant juillet 2021, afin de détailler les mesures prises pour mettre en œuvre lesdites recommandations prioritaires. À ce jour, le gouvernement mauritanien n’a pas encore soumis ledit rapport, et ce malgré un rappel de la Rapporteuse spéciale chargée du suivi des observations finales du Comité des droits de l'homme en date du 7 septembre 2021.
Compte tenu de l’article 3 du décret n° 263-2018, il est de la responsabilité du Commissariat d’assurer le suivi de la mise en œuvre des obligations internationales relatives aux droits humains. Nous vous invitons donc à soumettre au Comité le rapport de suivi en apportant une attention particulière à la recommandation prioritaire n° 11 portant sur la « lutte contre l’impunité et violations passées des droits de l’homme ».
Les autorités ont ainsi été invitées à :
prendre toutes les mesures nécessaires pour solder de manière définitive le passif humanitaire issu des événements qui ont eu lieu de 1989 à 1991, notamment en abrogeant la loi no 93-23 afin d’établir la vérité sur les crimes commis, d’en poursuivre les responsables et de leur imposer des peines appropriées, ainsi que de pourvoir à une réparation intégrale de toutes les victimes et de leurs ayants droit.
En tant qu’organisations de défense des droits humains et représentants de victimes, nous attendons du gouvernement mauritanien qu’il détaille dans son rapport de suivi les mesures prises, ou qu’il entend mener, à court et moyen terme pour solder de manière définitive les graves violations des droits humains qui ont visé tout particulièrement la communauté afro-mauritanienne de la fin des années 1980 au début des années 1990.
Nous prenons note des mesures qui ont été prises jusqu’à présent, y compris la signature de l’accord tripartite entre la Mauritanie, le Sénégal et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en 2007, l’indemnisation de 263 ayant droits suite à la signature d’un accord cadre le 25 mars 2009 entériné lors de la journée de réconciliation nationale organisée à Kaédi, ou encore la mise sur pied d’une Commission nationale de recensement des agents et fonctionnaires victimes des événements de 1989.
Cependant, nous estimons que ces mesures ne répondent que partiellement aux attentes des victimes et de leurs ayant droits dont le droit à la vérité et à la justice continue d’être bafoué jusqu’à aujourd’hui. L’indemnisation des victimes ne permet pas à elle seule d’assurer une réparation pleine et effective et ne saurait être substituée au droit d’introduire un recours utile comme le prévoit l’article 2 (3) a) du PIDCP.
Pour y remédier, nous recommandons l’abrogation dans les plus brefs délais de la loi n° 93-23 portant amnistie qui empêche d’ouvrir des enquêtes et de poursuivre les personnes responsables de graves violations des droits humains commises pendant le Passif humanitaire, comme l’a rappelé le Comité dans ses Observations finales.
Non seulement cette amnistie est incompatible avec le droit international, mais elle contrevient également au principe d’imprescriptibilité de la torture qualifiée de crime imprescriptible contre l’humanité dans la loi n°2015-033 et l’article 13 de la Constitution.
Outre le fait qu’aucune poursuite n’a pu être engagée contre les responsables présumés des violations commises durant le Passif humanitaire, la vérité sur ce qui s’est passé au cours de cette période est encore considérée comme un tabou national et aucun rapport officiel à propos de ces événements n’a encore été publié, comme l’a relevé le Rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée en 2014.
Compte tenu du contexte mauritanien et des expériences régionales en matière de justice transitionnelle, nous appelons de nos vœux à la mise en place d’une commission de vérité et de réconciliation indépendante, chargée d’établir les faits en enquêtant sur l’ensemble des atteintes aux droits humains commis durant la période du Passif humanitaire et dotée de la compétence de verser les éléments de preuve recueillis aux dossiers d’enquêtes et de poursuites judiciaires pénales.
Comme vous le savez, les violations flagrantes des droits humains commises lors du Passif humanitaire ont profondément marqué la société mauritanienne dans son ensemble. Nous vous enjoignons donc de prendre toutes les mesures en votre pouvoir afin de faire la lumière sur ces événements, et ainsi, contribuer à l’apaisement des victimes et de leurs familles dans un souci de réconciliation et de cohésion sociale.
Liste des organisations signataires
ACAT-France, Cadre de concertation des victimes des évènements (CCVE), Cadre de concertation des rescapés mauritaniens (CCR-M/Mauritanie), Cadre de concertation des rescapés mauritaniens en Europe et aux Etats-Unis (CCR-M/E/USA), Centre pour les Droits Civils et Politiques, MENA Rights Group, Organisation pour le Développement International Social Solidaire Intégré (ODISSI), REDRESS Trust