June 24, 2021
1. Contexte
Le 30 mai 2021, le président de la république a adopté en conseil des ministres deux ordonnances, dont l’Ordonnance n° 21-08 modifiant et complétant l’Ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant Code pénal, notamment les dispositions portant sur la répression des actes terroristes.
Le 2 juin 2021, le président a saisi le Conseil constitutionnel aux fins de contrôler la constitutionnalité de ces ordonnances. Suite à une délibération de trois jours, le Conseil constitutionnel a estimé, tant sur la forme que le fond, que les dispositions des deux textes étaient constitutionnelles.
L’Ordonnance n° 21-08 modifiant et complétant l’Ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant Code pénal est entrée en vigueur le 9 juin 2021 suite à son inscription au journal officiel[1].
Ce texte n’a fait l’objet d’aucun débat parlementaire compte tenu de la dissolution de l’Assemblée Populaire Nationale (APN) le 1er mars 2021 par le président. L’article 142 de la Constitution autorise en effet le président de la république à légiférer par ordonnance en cas de vacance de l’APN. Sur ce point, le Conseil constitutionnel a jugé que le président avait agi conformément à la Constitution.
Le calendrier de cette réforme soulève des interrogations en termes d’agenda parlementaire: la promulgation des ordonnances intervient quatre jours avant les élections législatives anticipées du 12 juin. Ces dernières ont été marquées par une abstention de près de 70% et un recul du Front de libération nationale[2].
Conformément à l’article 142 de la Constitution, le texte devra être voté durant la prochaine session de la nouvelle législature.
L’ordonnance n° 21-08 comporte plusieurs dispositions, détaillées dans la présente analyse, qui sont contraires aux normes inscrites dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ratifié par l’Algérie en 1989, notamment dans le cadre du respect des droits humains dans le contexte de la lutte contre le terrorisme.
2. Ordonnance n° 21-08 du 8 juin 2021 modifiant et complétant l’Ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant Code pénal
2.1 Élargissement de la définition du crime de terrorisme
L’article 2 de l’Ordonnance n° 21-08 introduit deux paragraphes supplémentaires à l’article 87 bis du Code pénal qui définit le crime de terrorisme.
En sus des paragraphes 1 à 13 restant inchangés :
est considéré comme acte terroriste ou sabotage, tout acte visant la sûreté de l’Etat, l’unité nationale et la stabilité et le fonctionnement normal des institutions par toute action ayant pour objet de :
[…]
̶ œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels [§ 14] ;
̶ porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou d’inciter à le faire, par quelque moyen que ce soit [§ 15].
L’introduction de ces deux paragraphes a pour effet d’aggraver le caractère large et imprécis de la définition de l’acte terroriste tel que défini à l’article 87 bis du Code pénal. Suite à l’examen du quatrième rapport périodique de l’Algérie, le Comité des droits de l’Homme avait souligné dans ses Observations finales de 2018 que cette disposition pouvait permettre la « poursuite de comportements qui peuvent relever de la pratique de l’exercice de la liberté d’expression ou de rassemblement pacifique[3]. »
Cette inquiétude soulevée par le Comité est particulièrement pertinente eu égard les modifications apportées par l’Ordonnance.
Nous sommes tout d’abord préoccupés par l’emploi de l’expression « moyens non constitutionnels ». Nous craignons en effet que ce paragraphe ne soit employé afin de poursuivre des militants pro-démocratie souhaitant inscrire de manière non violente leur mouvement en dehors du cadre institutionnel fixé par les autorités. Toute opposition au système actuel de gouvernance tel que défini par la Constitution de 2020, laquelle définit le rôle du Président, l’armée, le système électoral, peut ainsi tomber dans le champ d’application de cette disposition.
L’introduction du deuxième paragraphe risque de donner lieu à une augmentation des poursuites visant des manifestants ou des activistes portant des revendications communautaires ou territoriales. Nous craignons par exemple que les manifestants portant l’emblème amazigh soient désormais poursuivis pour terrorisme et non plus pour « atteinte à l’unité nationale » sur la base de l’article 79 du Code pénal.
2.2 Établissement d’une liste nationale de personnes et entités terroristes
L’article 3 de l’Ordonnance introduit l’article 87 bis 13 dans le Code pénal, lequel prévoit qu’ :
Est institué une liste nationale des personnes et entités terroristes qui commettent l’un des actes prévus à l’article 87 bis du présent code, qui sont classifiés « personne terroriste » ou « entité terroriste », par la commission de classification des personnes et entités terroristes, appelée ci-après la « commission ». Aucune personne ou entité, n’est inscrite sur la liste mentionnée au présent article, que si elle fait l’objet d’enquête préliminaire, de poursuite pénale, ou dont la culpabilité est déclarée par un jugement ou un arrêt.
Il est entendu par entité au sens du présent article, toute association, corps, groupe ou organisation, quelle que soit leur forme ou dénomination, dont le but ou les activités tombent sous le coup des dispositions de l’article 87 bis du présent code.
La décision d’inscription sur la liste nationale est publiée au Journal officiel […]. Cette publication vaut notification des concernés, qui ont le droit de demander, leur radiation de la liste nationale, à la commission, trente (30) jours à partir de la date de publication de la décision d’inscription.
La commission nationale peut radier toute personne ou entité de la liste nationale, d’office ou à la demande de la personne ou de l’entité concernée, lorsque les motifs de son inscription ne sont plus justifiés.
L’article 3 introduit également dans le Code pénal l’article 87 bis 14, lequel précise que l’inscription d’une personne ou d’une entité dans la liste nationale implique « l’interdiction de l’activité de la personne ou de l’entité concernée et la saisie et/ou le gel de ses fonds » et « l’interdiction de voyager pour les concernée, par décision judiciaire, sur demande de la commission. »
Outre le caractère vague et imprécis, décrit plus haut, de l’article 87 bis sur lequel repose les articles 87 bis 13 et 14, nous sommes préoccupés par les conditions fixées au premier paragraphe de l’article 87 bis 13. Ce dernier stipule qu’« aucune personne ou entité, n’est inscrite sur la liste mentionnée au présent article, que si elle fait l’objet d’enquête préliminaire, de poursuite pénale, ou dont la culpabilité est déclarée par un jugement ou un arrêt. »
L’emploi de la conjonction de coordination disjonctive « ou » et non pas « et » implique que des personnes ou des entités peuvent être publiquement désignées comme terroriste en l’absence de jugement mené à terme. En conclusion, nous estimons que cet article est contraire au principe de présomption d’innocence consacré à l’article 14 (2) du PIDCP.
En outre, l’Ordonnance n’apporte aucune précision quant à la composition de ladite commission de classification des personnes et entités terroristes et n’apporte aucune garantie d’indépendance vis à vis du pouvoir exécutif. Ceci est d’autant plus préoccupant que la Commission est chargée d’examiner les possibles recours des personnes morales ou physiques dont les noms figurent dans la liste nationale des personnes et entités terroristes. Concernant la question du recours, il est problématique qu’aucune contestation ne puisse être introduite durant les 30 premiers jours suivant la publication au journal officiel de la liste.
Enfin, il est particulièrement préoccupant que les personnes morales ou physiques concernées ne soient pas directement informées de leur inscription dans la liste nationale des personnes et entités terroristes. En lieu et place, la décision d’inscription sur la liste nationale est publiée au journal officiel et a valeur de notification.
Il est important que les personnes physiques et morales soient informées dans les plus brefs délais de leur inscription sur la liste nationale afin que ces derniers soient en mesure d’introduire un recours.
3. Conclusions et requêtes
En vertu de ce qui précède, MENA Rights Group estime que les dispositions prévues dans l’Ordonnance n° 21-08 du 8 juin 2021 modifiant et complétant l’Ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant Code pénal sont incompatibles avec plusieurs articles du PIDCP notamment l’article 14 (2) (droit à la présomption d’innocence).
Par conséquent, nous appelons les autorités à procéder à un réexamen de la législation pénale afin que les mesures encadrant la lutte contre le terrorisme soient conformes aux principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité.
Pour ce faire, l’État algérien devrait se fixer les objectifs suivants :
- Réviser l’article 87 bis du Code pénal aux fins de définir avec précision les actes de terrorisme et s’assurer que les dispositions en lien avec la lutte contre le terrorisme ne sont pas utilisées pour limiter les droits consacrés par le PIDCP;
- Abroger les articles 87 bis 13 et 14 afin de garantir le principe de la présomption d’innocence consacré à l’article 14 (2) du PIDCP.
[1] Voir Journal officiel n° 45 du 9 juin 2021.
[2] France 24, Législatives en Algérie : les électeurs boudent une nouvelle fois les urnes, 13 juin 2021, https://www.france24.com/fr/afrique/20210613-l%C3%A9gislatives-en-alg%C3%A9rie-les-%C3%A9lecteurs-boudent-une-nouvelle-fois-les-urnes (consulté le 21 juin 2021).
[3] Comité des droits de l’Homme, Observations finales concernant le quatrième rapport périodique de l’Algérie, 17 août 2018, CCPR/C/DZA/CO/4, § 17