November 14, 2023
Le 9 novembre 2023, le bilan de Djibouti en matière de respect des droits humains a été examiné devant le Conseil des Droits de l'Homme (CDH) de l’ONU dans le cadre du 4e cycle de son Examen Périodique Universel (EPU). L’EPU est un mécanisme d’examen durant lequel les États Membres des Nations Unies font des recommandations au pays examiné sur la manière d’améliorer la situation actuelle des droits humains compte tenu des obligations internationales du pays.
À la suite de ce processus, Djibouti est tenu de notifier au CDH les recommandations qu’il souhaite accepter et celles qu’il rejette lors de la prochaine session du Conseil, prévu entre février et avril 2024. En amont de l’examen, MENA Rights Group a soumis un rapport alternatif contenant une liste de recommandations, qui a été distribué aux États examinateurs. MENA Rights Group a présenté les conclusions de ce rapport lors d’une pré-session organisée par l’organisation UPR-info basée à Genève le 1er septembre 2023.
Droit à la liberté d’expression et liberté de la presse
Lors de cette session de l’EPU, le Ministre de la Justice de Djibouti, M. Ali Hassan Bahdon, a affirmé qu’il existait des garanties institutionnelles pour la liberté de la presse et la liberté d’expression dans le pays, déclarant que la législation garantissait l’indépendance des journalistes.
Pourtant, bien que le droit à la liberté d’expression soit protégé par la Constitution, il reste limité par la loi et dans la pratique. La criminalisation de la diffamation et de la calomnie publique est une source de préoccupation, au même titre que l'absence de médias indépendants dans le pays.
A la lumière de cette situation, 14 pays incluant la Zambie et le Ghana ont émis des recommandations à Djibouti pour qu’il protège la liberté d’expression. D’autres pays ont formulé des recommandations spécifiques sur la nécessité de renforcer la liberté de la presse.
La Belgique a recommandé à Djibouti de « réviser la Loi sur la Liberté de Communication et le Code Pénal afin d’éliminer les dispositions qui restreignent les libertés d’expression et d’association, notamment en dépénalisant la diffamation et en supprimant les restrictions à la création de médias fondées sur la nationalité et l’âge ». Dans le même ordre d’idées, l’Estonie a recommandé à Djibouti de « dépénaliser la diffamation et de l’inclure dans le Code Civil ».
En ce qui concerne l’application des lois affectant la liberté d’expression, les États-Unis ont recommandé à Djibouti « de ne pas poursuivre, emprisonner ou refuser l’entrée dans le pays aux personnes exerçant leur droit à la liberté d’expression ».
Droits aux libertés d’association et de réunion pacifique
Au cours de la session, la délégation de Djibouti a déclaré qu’il n’y avait aucune entrave aux droits à la liberté d’association et de réunion pacifique dans le pays. Elle a également affirmé que l’État travaillait sur une nouvelle législation relative aux libertés d’association et de réunion pacifique dont l’objectif serait d’améliorer le cadre juridique actuel.
Cette nouvelle loi devrait prévenir le risque que des associations soient financées par des « organisations terroristes ». Ce point particulier soulève des inquiétudes dans la mesure où la législation anti-terroriste a permis de justifier l’interdiction de rassemblements et de réunions sur la voie publique.
En outre, la loi actuelle sur les libertés de réunion pacifique et d’association est très restrictive et par conséquent de nombreuses ONG travaillant sur des sujets politiquement sensibles ne peuvent pas opérer librement dans le pays.
Pour remédier à ces manquements, Djibouti a reçu sept recommandations sur les droits à la liberté d’association et de réunion pacifique. Le Canada, par exemple, a recommandé à Djibouti d’adopter « une législation garantissant la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, et protégeant tous les individus contre les représailles ». L’Irlande a recommandé à Djibouti de veiller à ce que le cadre juridique assurant la protection des droits à la liberté d’association et de réunion pacifique « soit compatible avec les normes internationales et permette une participation libre et entière à la vie politique ».
Commission nationale des droits de l’Homme
La délégation djiboutienne a longuement parlé de la Commission National des Droits de l'Homme (CNDH), l’Institution nationale des droits de l’Homme (INDH) du pays et a déclaré que son financement et sa capacité ont été renforcés en 2014. Ils ont également indiqué qu’ils souhaitaient obtenir le statut A à travers le processus d’accréditation du Sous-comité d’accréditation (SCA) de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’Homme.
La délégation a enfin affirmé qu’une nouvelle législation est en cours d’élaboration, censé renforcer l’indépendance de l’INDH en faisant élire ses membres par la « société civile » et en renforçant l’immunité de ses membres. Cette loi devra être votée par les parlementaires.
La loi d’habilitation actuellement en vigueur présente de graves lacunes, notamment en ce qui concerne le contrôle de l’exécutif sur le processus de nomination. L’indépendance de l’INDH est également limitée car ses rapports doivent être approuvés par le gouvernement avant d’être publiés.
La Gambie a recommandé à Djibouti de « renforcer sa Commission Nationale des Droits de l’Homme afin qu’elle soit en conformité avec le Principe de Paris ». En outre, les Pays-Bas ont recommandé à Djibouti de renforcer son INDH « notamment en la dotant de ressources adéquates et en lui garantissant une indépendance opérationnelle totale ».
En juillet 2019, MENA Rights Group a soumis un rapport au SCA, estimant que la CNDH ne respectait pas pleinement les Principes de Paris et ne pouvait pas être considérée comme une institution nationale indépendante, impartiale et efficace.
La demande d’accréditation de la CNDH aurait normalement dû être examinée par le SCA en octobre 2019. La CNDH a néanmoins demandé à être examinée lors d'une session ultérieure du SCA peu de temps avant le début de la session d’examen. À ce jour, la CNDH n’a toujours pas été accréditée par le SCA et n’a pas encore déposé de nouvelle demande d’accréditation.
Prochaines étapes
Djibouti a jusqu’à la 55e session du Conseil des Droits de l’Homme – qui se tiendra du 26 février au 5 avril 2024 – pour fournir des réponses aux recommandations qu’il a reçues lors de son EPU. Djibouti sera ensuite tenu de mettre en œuvre les recommandations acceptées avant le 5e cycle de l’EPU du pays.
Nous exhortons Djibouti à accepter les recommandations faites par les États Membres de l’ONU, en particulier celles relatives aux libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique, ainsi que celles concernant l’indépendance de son INDH.