La société française Total assignée en justice pour les violations des droits humains commises par les forces des Emirats arabes unis sur le complexe gazier de Balhaf, au Yémen

February 23, 2023

MENA Rights Group poursuit le géant français de l’énergie TotalEnergies en justice pour non-respect de son obligation de diligence raisonnable concernant les atteintes aux droits humains commises dans une usine de liquéfaction de gaz à Balhaf, au Yémen. L'assignation demande des réparations pour deux victimes de torture et demande l’inclusion du site de Balhaf dans le plan de vigilance de Total pour prévenir la répétition de tels abus.

L'usine de liquéfaction de gaz de Balhaf © avec l'aimable autorisation du Comité d'examen indépendant de l'UICN.

MENA Rights Group a déposé une plainte devant le Tribunal judiciaire de Paris contre la société énergétique française TotalEnergies, agissant au nom de deux personnes qui ont été victimes de détention au secret et de torture par les forces émiraties sur l’usine yéménite de liquéfaction de gaz de Balhaf en 2018 et 2019.

Dans l’assignation, les plaignants, font valoir que TotalEnergies n’a pas mis en œuvre ses obligations au titre de la loi française de 2017 sur le devoir de vigilance des entreprises. La loi prévoit des obligations de diligence raisonnable pour les grandes entreprises afin d’identifier les risques et de prévenir les violations des droits humains, tout en prévoyant une responsabilité civile et un mécanisme de réparation.

« Total doit prendre des mesures pour les violations commises par les forces émiriennes à Balhaf », explique Alexis Thiry, conseiller juridique de MENA Rights Group. « Il est décevant de constater que depuis l'adoption de la loi sur le devoir de vigilance des entreprises en 2017, et bien qu'ayant été informé à de multiples reprises de violations flagrantes des droits humains sur le site, notamment après la publication d'un rapport par plusieurs ONG en 2019, détaillant plusieurs récits de détention arbitraire, de torture et de refus de soins médicaux par les forces émiraties, Total continue d’exclure Balhaf de son plan de vigilance ».

L’usine de gaz de Balhaf, située dans le gouvernorat de Shabwah au sud du Yémen, est exploitée par Yemen LNG, une société de liquéfaction de gaz naturel dont le principal actionnaire est TotalEnergies, avec une participation de 39,6%. L’extension du conflit au Yémen et l’insécurité croissante autour du site ont conduit Yemen LNG à arrêter sa production. En mars 2017, le gouvernement yéménite a réquisitionné l'usine et le site a été repris par les forces armées émiraties, qui ont alors installé une base d'où elles pouvaient lancer des opérations de lutte contre le terrorisme à travers le gouvernorat.

Depuis lors, des violations récurrentes des droits humains par les forces émiraties sur le site ont été signalées, notamment par des ONGs et des médias. En juillet 2019, le Groupe d’éminents experts sur le Yémen du Conseil des droits de l’homme de l’ONU a identifié le site de Balhaf comme faisant partie d’un réseau plus large de centres de détention dans le sud du Yémen où de graves violations des droits humains ont été commises. Il s’agit notamment de disparitions forcées, de détentions arbitraires et de torture.

Les deux hommes, dont les témoignages ont été recueillis par MENA Rights Group, ont subi de tels abus. Le premier a été arrêté en mai 2018 et détenu à Balhaf pendant plusieurs semaines, au cours desquelles il a été soumis à la torture et à des mauvais traitements. Il a ensuite été transféré dans d'autres lieux de détention secrets et finalement libéré. Le second a été arrêté en juin 2019 et détenu à Balhaf pendant plusieurs mois, au cours desquels il a été soumis à de graves actes de torture. Il a été transféré dans d'autres lieux de détention et libéré en 2021.

L’assignation demande au Tribunal judiciaire de Paris de faire reconnaître aux deux personnes leur droit à réparation de la part de TotalEnergies en raison du non-respect par l’entreprise de ses obligations au titre de la loi sur le devoir de vigilance de 2017. En outre, les plaignants demandent à TotalEnergies d’inclure le site de Balhaf dans ses prochains plans de vigilance et de prendre les mesures nécessaires pour éviter que de telles atteintes aux droits humains ne se reproduisent.

En 2022, MENA Rights Group a envoyé une mise en demeure à TotalEnergies détaillant les abus commis à Balhaf. Dans sa réponse, le géant français de l’énergie a fait valoir qu’il n’était pas tenu par ces obligations de diligence raisonnable concernant les activités à Balhaf, en raison du fait que Total ne contrôle pas l’exploitant du site Yémen LNG.

MENA Rights Group estime au contraire que les activités de Yémen LNG satisfont aux obligations de diligence raisonnable incombant à TotalEnergies en vertu de leur relation commerciale établie, et à la lumière de toutes les activités se déroulant sur le site de Balhaf concernant la production et l'exportation de gaz naturel liquéfié.

« La société TotalEnergies se trouve [pour la deuxième fois] assignée sur le fondement de la loi française relative au devoir de vigilance, cette fois-ci à raison des activités de sa filiale Yémen LNG », déclare Louis Cofflard, l’avocat agissant au nom de MENA Rights Group. « Cette nouvelle affaire illustre clairement la stratégie de la multinationale consistant à décliner toute responsabilité légale lorsque des violations graves des droits humains sont révélées et présentent des liens avec les activités ou les infrastructures de ses filiales. »

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