July 08, 2021
Le 19 janvier 2021, la Mauritanie a été examinée par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies (CDH) dans le cadre du troisième examen périodique universel (EPU) du pays. L'EPU est un mécanisme d'examen inter-étatique par lequel les États membres de l'ONU fournissent des recommandations pour améliorer la situation des droits humains dans le pays examiné. En amont de cet examen, MENA Rights Group et le Cadre de concertation des rescapés de Mauritanie (CCR-M) ont soumis un rapport alternatif, contenant une liste de recommandations, qui a été distribué aux États examinateurs.
Droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne
Plusieurs pays ont exhorté la Mauritanie à abolir la peine capitale. D'autres, comme l'Australie, ont recommandé la ratification du deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (CCPR-OP2-DP), visant à l'abolition de la peine de mort.
Aucune de ces recommandations n'a été acceptée par les autorités, même celles demandant un moratoire de jure sur la peine de mort, la commutation de toutes les condamnations à mort en peines alternatives et la suppression de toute référence à la lapidation comme méthode d'exécution.
Il faut rappeler qu'un grand nombre d'infractions sont encore passibles de la peine de mort, y compris certaines qui n'entrent pas dans la catégorie des crimes les plus graves. Dans le cadre de l'affaire Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir, l'Assemblée nationale a même adopté le 27 avril 2018 une loi rendant la peine de mort obligatoire pour toute personne reconnue coupable de « discours blasphématoire » et d'actes jugés « sacrilèges ».
En juillet 2019, 115 personnes étaient détenues après avoir été condamnées à mort, selon les chiffres officiels.
Sur la question de la torture, le gouvernement a accepté trois recommandations émises par le Danemark, la France et la Suisse, exhortant les autorités à mettre ses conditions d'emprisonnement et de détention en conformité avec les Règles Nelson Mandela, à veiller à ce que les personnes en détention ne soient pas victimes de torture ou de mauvais traitements et à lutter contre l'impunité. Sur la question de l'impunité, le gouvernement a accepté de « veiller à ce que les allégations de torture fassent l'objet d'une enquête indépendante et que les responsables soient traduits en justice. »
Liberté d’expression
Bien que les délits de presse aient été dépénalisés en 2011, le cadre juridique mauritanien contient toujours des dispositions qui restreignent les activités liées à l'exercice de la liberté d'expression, ce qui a incité la Suisse à recommander que le Code pénal et la législation sur l'information et la communication soient modifiés afin de les mettre en conformité avec l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Cette recommandation a été ignorée par les autorités, qui ont également refusé de suivre une recommandation émise par les Pays-Bas demandant à la Mauritanie de « supprimer de la législation toute identification du blasphème et de l'apostasie comme un crime.»
Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, le parlement a adopté une loi sur la lutte contre la manipulation de l'information, qui vise à supprimer la manipulation de l'information « notamment en période d'élections et lors de crises sanitaires. » En août 2020, la rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection de la liberté d'opinion et d'expression a déclaré que le texte permet au gouvernement de restreindre la liberté d'expression sur la base de critères vagues et pourrait faire l'objet d'une interprétation arbitraire.
Liberté de réunion et d'association pacifiques
Si les droits de réunion et d'association pacifiques sont protégés par la Constitution, ils sont restreints en droit et en pratique, malgré de timides tentatives pour faire en sorte que la législation mauritanienne soit conforme aux normes internationales.
La Mauritanie a néanmoins accepté de « fournir un environnement constructif et sûr pour le rassemblement pacifique et la liberté d'expression afin de permettre à la société civile, aux organisations non gouvernementales et aux défenseurs des droits de l'homme de mener leurs activités », comme l’a recommandé la Nouvelle-Zélande. Le gouvernement a également accepté de prendre des mesures concrètes pour empêcher l'arrestation et la détention arbitraires des défenseurs des droits humains.
Cet engagement est cohérent avec l'adoption en janvier 2021 d'une loi abrogeant la loi restrictive de 1964 sur les associations, qui exigeait auparavant que les associations obtiennent une autorisation formelle pour fonctionner légalement et donnait au ministère de l'Intérieur des pouvoirs très étendus pour refuser une telle autorisation pour des motifs vagues tels que la « propagande antinationale » ou l'exercice d'une « influence fâcheuse sur l'esprit des gens. » En février 2020, par exemple, les autorités avaient arrêté 15 personnes sur la base de l'article 8 de la loi sur les associations pour « participation à une réunion non autorisée. »
En vertu de la nouvelle loi, l'autorisation administrative préalable n'est plus nécessaire ; une déclaration de création est désormais suffisante. Malgré cette évolution positive, il convient de noter que le ministère de l'intérieur peut toujours suspendre une association pour une durée maximale de 60 jours sur la base de motifs vagues tels que « l'engagement dans des activités susceptibles de menacer l'ordre public et les bonnes mœurs. »
Nous regrettons que les États membres aient accordé une attention moindre au droit de réunion pacifique. La loi n° 73-008 sur les réunions publiques prévoit toujours que « toute réunion publique doit faire l'objet d'une déclaration auprès des autorités administratives. »
«Passif humanitaire» et lutte contre l’impunité
En ce qui concerne le droit à la vérité et la lutte contre l'impunité, la Belgique est le seul pays à avoir abordé la question de l'absence de responsabilité pour les crimes commis entre le milieu des années 1980 et le début des années 1990. Au cours de cette période, communément appelée « Passif humanitaire », de larges pans de la minorité afro-mauritanienne ont été victimes de graves violations des droits de l'homme, notamment d'exécutions sommaires, de disparitions forcées et de torture.
La Belgique a ainsi recommandé à la Mauritanie de « prendre les mesures nécessaires pour abroger la loi 1993 (n° 93-23) sur l'amnistie et créer un mécanisme indépendant de justice et de réconciliation ayant le pouvoir de mener des enquêtes sur les crimes passés. » Cette recommandation a toutefois été notée.
La loi en question accorde une amnistie aux membres des forces de sécurité pour tous les crimes qu'ils ont pu commettre entre 1989 et 1992. La loi empêche donc que les auteurs de violations des droits de l'homme commises pendant cette période aient à répondre de leurs actes et ne permet pas aux victimes et à leurs familles d'avoir accès à des recours effectifs.
Lutte contre les discriminations
Les violations commises lors du « Passif humanitaire » ont révélé l'exclusion des communautés afro-mauritaniennes du pays. Depuis lors, peu de progrès ont été réalisés pour lutter contre la discrimination dont sont victimes les Haratine et les communautés afro-mauritaniennes. Il est encourageant de constater que la Mauritanie s'est engagée à améliorer son cadre juridique applicable aux sanctions pour toutes les formes de discrimination afin d'éviter une interprétation sélective et une manipulation du droit applicable et a accepté de « criminaliser la discrimination conformément à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. »
Les autorités ont manifesté moins d'intérêt pour la lutte contre la discrimination fondée sur le genre. La recommandation de l'Espagne appelant à une modification de la « législation afin d'assurer l'égalité des droits des femmes et des hommes en ce qui concerne le transfert de la nationalité aux enfants, le mariage, les relations familiales, l'accès à la propriété et l'héritage », a simplement été notée.
Prochaine étape
Les autorités devront mettre en œuvre les recommandations acceptées avant le prochain examen du pays, qui aura lieu en novembre 2025.