Décès de Yassine Chabli en garde à vue : l’AMDH et MENA Rights Group saisissent l’ONU

December 11, 2025

L'Association marocaine des droits humains et MENA Rights Group ont soumis le cas de Yassine Chabli, décédé en garde à vue en 2022, au Comité des Nations unies contre la torture, invoquant des preuves de torture et des lacunes importantes dans l'enquête officielle. Les organisations dénoncent le refus des autorités de qualifier ces violences de torture et avertissent que la manière dont cette affaire a été traitée sape la confiance dans le système judiciaire marocain.

Avec l'aimable autorisation de la famille Chabli. 

Genève / Rabat, 12 décembre 2025 — L’Association marocaine des droits humains (AMDH) et MENA Rights Group ont saisi le Comité des Nations unies contre la torture (CAT) au nom de la famille de Yassine Chabli, décédé à 28 ans dans la nuit du 5 au 6 octobre 2022 au poste de police de Ben Guerir. Les deux organisations dénoncent des actes de torture ayant précédé sa mort et de graves irrégularités dans l’enquête et les procédures judiciaires qui ont suivi.

Yassine Chabli, ancien agent de sécurité, a été interpellé alors qu’il était assis dans un jardin public le 5 octobre 2022, menotté et conduit de force au commissariat. Il était alors décrit comme étant en bonne santé, sans antécédents médicaux ou troubles particuliers.

Dès son arrivée au poste de police, Yassine Chabli a été giflé à plusieurs reprises par un policier avant d’être placé en cellule, malgré des signes de détresse évidents. Au cours de la nuit, après un bref passage à l’hôpital, il a été attaché aux barreaux de sa cellule dans une position douloureuse et  violemment frappé par des agents. Les enregistrements de vidéosurveillance montrent qu’il a ensuite été laissé sans surveillance pendant de longues heures, privé de soins médicaux malgré son état critique. Il a été retrouvé mort vers 13 h le 6 octobre dans sa cellule. Sa dépouille portait des traces visibles de torture.

Une enquête a été ouverte à la demande du procureur général, incluant une autopsie. Mais de graves irrégularités entachent la procédure : une partie de l’enquête a été confiée au même bureau de police où Yassine Chabli a trouvé la mort, compromettant toute impartialité et indépendance.

Le 1ᵉʳ décembre 2022, le procureur général a publié une déclaration attribuant la mort de Yassine Chabli à des blessures « auto-infligées » lors de chutes liées à un supposé « état hystérique ». Cette version officielle a influencé l’opinion publique et le procès, exonérant de facto la responsabilité de l’État et suggérant que la victime serait responsable de sa propre mort. Quatre policiers  ont été poursuivis pour « violence par un agent public » et « homicide involontaire par négligence et manque de prévoyance » plutôt que pour torture.

Entre 2023 et 2025, les quatre policiers ont été jugés devant les chambres correctionnelles de Marrakech et de Ben Guerir. Pourtant, les tribunaux de première instance s’étaient initialement déclarés incompétents, estimant que les faits relevaient de la torture et devaient être jugés devant les chambres criminelles. Trois policiers ont finalement été condamnés à des peines de prison, mais sans que les actes de torture ne soient reconnus en tant que tels.

Depuis le décès de Yassine Chabli, sa famille se mobilise pour obtenir vérité et justice : plainte pour meurtre, manifestations régulières, demande d’accès aux enregistrements vidéo de sa garde à vue. En représailles, plusieurs proches ont été poursuivis et condamnés pour outrage, trouble à l’ordre public ou participation à des rassemblements non autorisés.

Pour l’AMDH, partie civile dans l’affaire : « tant que la vérité sera occultée et que la famille sera soumise à des pressions pour avoir réclamé justice, la confiance dans la capacité de la justice à réprimer les actes de torture restera profondément compromise. »

MENA Rights Group souligne : « l’affaire Chabli demeure un test décisif de l’engagement du Maroc envers ses obligations internationales. Le refus persistant de qualifier les violences subies par Yassine Chabli d’actes de torture traduit une volonté de minimiser les faits et d’éluder une responsabilité pénale adéquate. »

Le Maroc a ratifié la Convention contre la torture en 1993 et incrimine la torture dans son Code pénal (article 231-1).  Pourtant, cette qualification n’a pas été retenue dans l’affaire Chabli, malgré la réunion des éléments constitutifs de l’infraction au regard du droit interne et des standards internationaux.

Le 3 décembre 2025, l’AMDH et MENA Rights Group ont saisi le Comité contre la torture pour demander la réouverture du procès et la requalification des faits en actes de torture, conformément à l’article 231-1 au Code pénal marocain et à la Convention contre la torture.

À travers cette saisine, les deux organisations demandent que justice soit pleinement rendue à Yassine Chabli et que des garanties effectives soient mises en place pour protéger l’intégrité physique des personnes détenues au Maroc, afin que de telles violations ne se reproduisent plus à l’avenir.

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