Appel au Président Mohamed Cheikh Mohamed ould Ghazouani pour un règlement juste et équitable des crimes des années 1980 et 1990

June 28, 2021

Lettre au président de la république de Mauritanie concernant les crimes commis durant le "Passif humanitaire".

À l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance de la Mauritanie le 28 novembre 2020, le Cadre de Concertation  des Rescapés Mauritaniens en Europe et aux Etats Unis (CCRM-E/USA) et ses organisations membres lancent un appel urgent pour le règlement de la période communément appelée « Passif humanitaire », terme euphémique désignant les violations massives des droits humains (i.e. exécutions extrajudiciaires, torture, expulsions etc.) à l’encontre des populations afro-mauritaniennes entre 1986 et 1992. Les tentatives de résolution par les pouvoirs successifs sont restées en deçà des demandes formulées par les associations de victimes et les plaintes déposées devant les juridictions nationales par les ayants droit des martyrs et les victimes rescapées d’actes de torture se sont révélées vaines.

Depuis son indépendance, la Mauritanie a été marquée par des politiques discriminatoires qui ont t exclu graduellement les noirs des rênes de l’État. Cette exclusion a pris des formes violentes en particulier entre 1986 à 1992 lorsque les populations afro-mauritaniennes ont connu des violations graves des droits humains. Plus de 500 militaires ont notamment été sommairement exécutés. Ces exactions ont atteint leur paroxysme lors de la nuit du 27 au 28 novembre 1990 avec l’exécution à Inal de 28 détenus alors même que le pays célébrait l’indépendance nationale. Cette date est devenue désormais pour nous une journée de deuil à la MEMOIRE des martyrs.

Ces pogroms, menés avec l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe « national, ethnique, racial », constituent des actes de génocide au sens de l’article 2 de la Conventions des Nations unies sur la répression des crimes de génocide du 9 décembre 1948. Ils entrent ainsi dans le champ d’application de la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité du 26 novembre 1968.

La loi d’amnistie n° 93-23 du 14 juin 1993  ̶  adoptée par l’Assemblée nationale inféodée au gouvernement lui-même complice des responsables des exactions  ̶  a marqué l’irrecevabilité des plaintes déposées à l’intérieur du pays entre 1991 et 1992. Les recours internes étant impossibles, les ayants droit et les victimes n’ont pas eu d’autre choix que de saisir les institutions internationales des droits de l’homme. Toutes les voies de recours à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et des mécanismes onusiens ont conclu à l’invalidité de la loi d’amnistie de 1993 au regard du droit international.

En juillet 2019 et juin 2020, le Comité des droits de l’Homme des Nations unies[1] et sept titulaires de mandats au titre des procédures spéciales[2] ont exhorté la Mauritanie à (i) solder de manière définitive le passif humanitaire issu des événements qui ont eu lieu de 1989 à 1991, notamment en abrogeant la loi n° 93-23 afin d’établir la vérité sur les crimes commis, d’en poursuivre les responsables et de leur imposer des peines appropriées, ainsi que de pourvoir à une réparation intégrale de toutes les victimes et de leurs ayants droit, (ii) prendre les mesures pour retrouver les personnes disparues, indiquer si le gouvernement prévoit des politiques publiques tendant à fournir des informations sur le mandat de la future commission vérité réconciliation, ses méthodes de travail, ainsi que les tribunaux spéciaux appelés à traiter les cas relatifs à la justice transitionnelle.

Le CCRM-E/USA, ses organisations membres, les ayants droit des martyrs et les victimes rescapées d'actes de torture et traitements inhumain et dégradant, et MENA Rights Group appellent le Président Mohamed Cheikh Mohamed ould Ghazouani et son gouvernement á faire du « Passif humanitaire » une priorité nationale et de prendre toutes les mesures nécessaires pour son règlement.

Afin de solder définitivement le « Passif humanitaire », nous demandons:

- D'abroger la loi d'amnistie n° 23-93;

- De mener des enquêtes approfondies sur les violations commises durant le Passif humanitaire, en particulier lorsqu'il s'agit de la disparation forcée, de torture, d'atteinte au droit á la vie;

- De poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine appropriée;

- D'organiser le retour des déportés se trouvant toujours au Sénégal et au Mali, en garantissant le respect de leurs droits ;

- De prévoir la réparation pleine et entière de toutes les victimes et de leurs ayants droit á la mesure de la gravité des violations et des préjudices subis.

Nous exhortons toutes les organisations et personnes éprises de justice de soutenir cet appel de justice en signant la pétition. MENA Rights Group s’associe à la démarche entreprise par les signataires de l’appel.

La pétition est disponible ici.

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