Algérie : Un rapport révèle l’usage massif et arbitraire des interdictions de sortie du territoire comme outil de répression

October 29, 2025

MENA Rights Group publie un nouveau rapport intitulé « Algérie : les interdictions de voyager, un outil de répression massive entre les mains des autorités », qui dénonce l’utilisation abusive des interdictions de voyager (ISTN) par les autorités algériennes pour réduire au silence les voix dissidentes et restreindre la liberté de circulation. S’appuyant sur près de trente cas individuels, le rapport décrit comment ces mesures, souvent imposées sans procédure régulière ni notification, instaurent un climat de peur et d’autocensure.

Genève, 30 octobre 2025 – MENA Rights Group, dans un nouveau rapport intitulé « Algérie : Les interdictions de sortie du territoire national, un outil de répression massif aux mains des autorités », met en lumière l’ampleur du recours aux interdictions de sortie du territoire national (ISTN) par les autorités algériennes comme instrument de contrôle politique et de répression de toutes voix critiques.

S’appuyant sur près d’une trentaine de témoignages et de cas documentés, le rapport démontre que, dans le contexte de la répression du mouvement de protestation Hirak, les autorités ont considérablement intensifié le recours aux ISTN ces dernières années.

Les nombreux récits récoltés illustrent la manière dont les ISTN sont utilisées pour isoler les voix critiques, sanctionner l’expression d’opinions divergentes et entretenir un climat d’intimidation. Dans de nombreux cas, ces mesures sont imposées sans notification préalable – les personnes découvrant leur interdiction de voyager au moment de franchir une frontière –, sans décision dûment motivée et sans possibilité de recours. Des personnes restent parfois interdites de voyager pendant des années, même au terme de procédures judiciaires ou après la levée officielle des mesures. Cette incertitude permanente nourrit un climat de peur et d’autocensure au sein de la société civile, érodant davantage la liberté d'expression et la participation civique au sein de la société algérienne.

Jusqu’à récemment, les ISTN étaient prévues à l’article 36 bis 1 du Code de procédure pénale. Cet article, très critiqué, permettait au procureur de la République, sur rapport de police, d’imposer une interdiction de voyager pour trois mois renouvelables une seule fois et, dans les affaires de « terrorisme » ou de corruption, pour une durée indéfinie.

En août 2025, suite à l’adoption de la loi n° 25-14 portant Code de procédure pénale, cet disposition a été remplacée par l’article 49. Bien que certaines modifications – notamment l’obligation pour le procureur de rendre une ordonnance motivée et de notifier la personne concernée, qui peut en demander la levée – constituent des avancées, il demeure à ce stade prématuré d’en apprécier la portée effective.

En effet, des incertitudes persistent, notamment quant à l’absence d’un encadrement juridictionnel des interdictions de sortie du territoire ou de voies de recours explicitement consacrées par le législateur. S’ajoutent à cela des garanties normatives insuffisantes permettant un examen du respect des principes de nécessité et de proportionnalité.

Plus préoccupant encore, l’article 49 élargit le champ d’application des ISTN en y incluant l’infraction d’« atteinte à la sûreté de l’État » comme motif de renouvellement illimité, aux côtés de celle de terrorisme. Or, cette notion, à la fois vague et extensible, présente les mêmes risques d’abus que la législation antiterroriste, en permettant une utilisation arbitraire à l’encontre d’opposant·es politiques, de journalistes ou de défenseur·es des droits humains. Ces inquiétudes s’inscrivent dans un contexte plus large, marqué par les critiques récurrentes visant l’article 87 bis du Code pénal algérien, dont la définition particulièrement large du terrorisme est régulièrement employée pour restreindre les libertés fondamentales.

En juillet 2025, la Cour constitutionnelle a été appelée à se prononcer sur la conformité de l’article 49 du Code de procédure pénale avec la Constitution. Malgré les arguments avancés par plusieurs député·e·s qui soulignaient que cette disposition portait atteinte à l’article 49 de la Constitution consacrant le droit à la libre circulation, la Cour a validé le texte.

Si les ISTN sont parfois appliquées dans le cadre d’affaires de corruption, le rapport démontre que leur usage s’est progressivement élargi pour cibler des opposant·e·s politiques, journalistes, syndicalistes et défenseur·se·s des droits humains, et ainsi réduire au silence celles et ceux qui osent exprimer des critiques. En entravant ainsi la liberté de circulation, les autorités algériennes violent la Constitution ainsi que leurs obligations internationales, notamment l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel elle est partie, qui protège le droit de toute personne de quitter son pays.

« Les interdictions de sortie du territoire sont devenues un outil politique qui réduit au silence ceux et celles qui osent critiquer le pouvoir. L’Algérie doit mettre un terme à ces pratiques et respecter le droit fondamental de ses citoyen·ne·s à la liberté de circulation », déclare Alexis Thiry, conseiller juridique à MENA Rights Group.

MENA Rights Group appelle les autorités algériennes à mettre fin à l’usage arbitraire des interdictions de sortie du territoire et à mettre la législation nationale en conformité avec la Constitution ainsi que ses obligations internationales. Toute personne concernée doit être informée de manière transparente, justifiée, et disposer dispose d’un véritable recours pour contester la décision.

Le rapport sera présenté lors d’un webinaire consacré à cette question, organisé par EuroMed Droits et MENA Rights Group le 31 octobre 2025. 

 

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