Détention arbitraire du chercheur algéro-canadien Raouf Farrah de février à octobre 2023

Détention arbitraire du chercheur algéro-canadien Raouf Farrah de février à octobre 2023

Raouf Farrah, chercheur algéro-canadien, a été arrêté le 14 février 2023 dans sa demeure familiale à Seraidi (Annaba). Il a été accusé de « publication d’informations ou de documents partiellement ou totalement classifiés sur un réseau électronique» et de « réception de fonds dans le but de commettre des actes susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ». Le 29 août 2023, M. Farrah a été condamné à deux ans de prison ferme. Sa peine a été réduite à huit mois de prison ferme et un an de prison avec sursis. Ayant purgé sa peine, il a été libéré le 26 octobre 2023.

Raouf Farrah est un chercheur algéro-canadien travaillant pour la Global Initiative against Transnational Organized Crime. Il vit à Tunis en Tunisie. 

Il a été arrêté le 14 février 2023 alors qu’il était venu passer une semaine en famille en Algérie avec ses proches pour assister à un mariage.

Ce jour-là, la gendarmerie et la police judiciaire sont venues avec un mandat de perquisition pour inspecter la maison familiale et un mandat d’arrêt pour M. Farrah. Il a alors été arrêté puis placé en garde à vue à la section de recherches de la brigade de la gendarmerie d’El Hattab à Annaba.

Son arrestation faisait suite à l’enquête judiciaire ouverte contre Amira Bouraoui, une activiste franco-algérienne active notamment pendant le mouvement pro-démocratie du Hirak, puis contre le journaliste Mustapha Bendjama. En effet, après l’arrestation de M. Bendjama, arrêté pour ses liens avec Bouraoui, la police a inspecté son téléphone et a trouvé des messages envoyés à M. Farrah. Ces messages portaient sur une étude sur la bonne gouvernance en Algérie réalisée par M. Bendjama pour le compte de l’ONG Global Integrity. M. Farrah avait recommandé le nom de M. Bendjama parmi une liste de trois candidats pour cette offre de consultation. 

Le 18 février 2023, M. Farrah a été transféré dans les locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) de Constantine où il a passé la nuit. Le lendemain, il a été présenté devant le procureur de la République du Pôle pénal spécialisé de Constantine avec M. Bendjama et les autres prévenus de l’affaire dite « Bouraoui ».

Dans la nuit du 19 au 20 février 2023, une première audition devant le juge d’instruction a eu lieu à la suite de laquelle M. Farrah a été placé en détention provisoire.

M. Farrah est poursuivi sur la base de deux dispositions pénales. Il s’agit, d’une part, de l’article 95 bis du Code pénal pour « réception de fonds dans le but de commettre des actes susceptibles de porter atteinte à l’ordre public » et, d’autre part, de l’article 38 de l’Ordonnance n° 21-09 relative à la protection des informations et des documents administratifs. Au titre de cette disposition, il est accusé d’avoir « publié des informations ou des documents classifiés sur un réseau électronique ».

Quatre demandes distinctes de remise en liberté pour M. Farrah ont été déposées au niveau de la justice, soit le 23 février, le 16 avril, le 8 mai et le 26 juin 2023. Les quatre demandes ont été systématiquement rejetées par le juge d’instruction sans justification. 

Le 21 juin 2023, M. Farrah a été auditionné sur le fond de l’affaire pour la deuxième fois par le juge d’instruction. 

Le procès en première instance a eu lieu le 22 août 2023. Durant l’audience, l’avocat de M. Farrah, Maitre Kouceila Zerguine, a expliqué que son client n’avait jamais diffusé un quelconque document classifié et qu’il n’avait pas non plus réceptionné de fonds, mais qu’il a bien émis des fonds à l’intention de M. Bendjama et qu’en aucun cas ces fonds n’étaient susceptibles de porter atteinte à l’ordre public.

L’accusation n’a pas fourni de preuves quant à ces soi-disant documents classifiés et n’a pas jugé nécessaire de répondre aux allégations que M. Farrah n’avait pas réceptionné de fonds. De plus, le juge lui a majoritairement posé des questions sur ses relations avec d’autres journalistes, l’accusant de vouloir nuire aux relations extérieures de l’Algérie.

Le 29 août 2023, le tribunal de Constantine a prononcé son verdict et a condamné M. Farrah à deux ans de prison ferme et une amende de 200 000 DA (environ 1 000 euros).

L’audience en appel a eu lieu le 19 octobre 2023, durant laquelle le juge a notamment posé des questions sur un ouvrage collectif coordonné par M. Farrah intitulé « Algérie : l’Avenir en Jeu : Essai sur les perspectives d’un pays en suspens ». L’ouvrage est paru quelques jours après l’arrestation de M. Farrah en février 2023. Le juge l’a accusé de chercher à nuire à l’image du pays à travers la publication de l’ouvrage collectif et ses recherches universitaires. 

Nous estimons que les accusations et condamnations contre M. Farrah se basent sur des faits relevant de son droit à la liberté d’expression et à la liberté d’association tels que protégés par l’article 19 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Nous affirmons également que M. Farrah a été détenu en raison de ses contacts, au demeurant légitimes, avec des journalistes, dont M. Bendjama, des militants et des universitaires algériens. Nous affirmons également qu’il a été une victime collatérale de l’affaire dite « Bouraoui ».

Considérant la détention de M. Farrah comme arbitraire, MENA Rights Group a envoyé une Demande d’Avis au Groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU le 23 octobre 2023.

Le 26 octobre 2023, la Cour de Constantine a condamné M. Farrah et M. Bendjama à huit mois de prison ferme et à un an de prison avec sursis en Appel. Ayant purgé sa peine, M. Farrah a été immédiatement libéré.

En novembre, un pourvoi en cassation a été enregistré par l’avocat de M. Farrah auprès de la Cour suprême algérienne.

Timeline

26 octobre 2023 : La Cour de Constantine condamne Raouf Farrah à huit mois de prison ferme et un an de prison avec sursis. Il est immédiatement libéré.
23 octobre 2023 : MENA Rights Group soumet une demande d’Avis au Groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU pour Raouf Farrah.
19 octobre 2023 : Raouf Farrah est jugé en appel devant la Cour de Constantine.
29 août 2023 : Accusé de « publication d’informations ou de documents partiellement ou totalement classifiés sur un réseau électronique » et de « réception de fonds dans le but de commettre des actes susceptibles de porter atteinte à l’ordre public », Raouf Farrah est condamné à deux ans de prison ferme.
22 août 2023 : Le procès en première instance se tient devant le Pôle pénal spécialisé de la Cour de Constantine.
21 juin 2023 : Raouf Farrah est auditionné pour la deuxième fois par le juge d’instruction sur le fond de l’affaire.
Nuit du 19 au 20 février 2023 : Raouf Farrah est auditionné pour la première fois devant le juge d’instruction puis placé en détention provisoire.
19 février 2023 : Raouf Farrah est transféré à l’établissement pénitentiaire de Boussouf à Constantine.
14 février 2023 : La gendarmerie et la police judiciaire perquisitionnent la demeure familiale à Seraidi (Annaba). Raouf Farrah est mis en garde à vue à la brigade de la gendarmerie d’El Hattab à Annaba.
12 février 2023 : Raouf Farrah arrive en Algérie pour des vacances en famille avec son épouse et sa fille.