La famille d'Ahmed Boulares, disparu en Algérie, réclame vérité et justice

La famille d'Ahmed Boulares, disparu en Algérie, réclame vérité et justice

Ahmed Boulares a été victime de disparition forcée dans le cadre de la guerre civile algérienne qui a ravagé le pays dans les années 1990. Il a été arrêté le 5 juillet 1994 par la Sécurité militaire. Depuis lors, sa famille a reçu des informations contradictoires sur son sort et le lieu où il se trouve. Alors que certains anciens détenus affirment l'avoir vu dans différents centres de détention, d'autres sources suggèrent qu'il a été sommairement exécuté dans les mois qui ont suivi son arrestation.

Dans les années 1990, l’Algérie a été plongée dans une guerre civile connue sous le nom de « décennie noire », durant laquelle le pays a connu une pratique généralisée et systématique de disparitions forcées. Le nombre de personnes disparues pendant la guerre civile varie entre 7 000 et 20 000 selon les estimations. Ahmed Boulares, physicien algérien à l’université de Blida, en fait partie.

Boulares a été arrêté le 5 juillet 1994, lorsque des agents de la Sécurité militaire (également connue sous le nom de Département du renseignement et de la sécurité, ou DRS) ont fait une descente à son domicile de Blida. Durant les semaines qui ont suivi son arrestation, les agents du DRS ont effectué plusieurs perquisitions au domicile de Boulares. Ils étaient à la recherche des effets personnels de Boulares, tels que ses livres, son ordinateur et d’autres appareils électroniques.

 Au cours de perquisitions ultérieures, Boulares a été aperçu à l’intérieur d’une voiture militaire à proximité du domicile perquisitionné. Depuis lors, sa famille a reçu des informations contradictoires sur son sort et le lieu où il se trouve.

Dans les semaines qui ont suivi son arrestation, des témoins ont affirmé avoir vu Boulares en compagnie de Fouad Bouchelaghem, maître de conférences en physique, au laboratoire de l’université de Blida, tous deux escortés par des membres du DRS.

Suite à la disparition de son fils, le père de Boulares a entrepris de nombreuses recherches auprès des administrations, y compris les forces de sécurité, les hôpitaux et les cimetières de la région. Lors de sa rencontre avec la gendarmerie, le père de la victime a été informé que son fils avait été détenu dans des centres de détention à Bou Saada, Ben Aknoun et Médéa. La gendarmerie lui a également indiqué que son fils avait été tué lors d’un transfert, dans un échange de tirs avec des groupes armés dans la localité d’Oued Alleug dans la wilaya de Blida. Le père de Boulares a alors été orienté vers l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, où on lui a affirmé que son fils était mort et enterré au cimetière de Blida en octobre 1994. Cependant, quand il a demandé au gardien du cimetère de décrire la physionomie de la personne enterrée sous le nom d’Ahmed Boulares, la description ne correspondait pas à l’apparence physique de son fils.

En 2008, Abdelkader Tigha, un ancien officier du DRS en poste au Centre territorial de recherche et d’investigation (CTRI) de Blida, a publié un livre dans lequel il affirme avoir enquêté sur les disparitions forcées de Boulares et de Mohamed Rosli. L’enquête présumée a conclu que Boulares et Rosli avaient tous deux été exécutés sommairement après avoir été soumis à des actes de torture. Suite à son enquête, il aurait rédigé un rapport qu’il aurait transmis à Djabber M’Henna, le chef du CTRI à Blida à l'époque. Peu après, il aurait été convoqué et aurait reçu l'instruction de ne jamais impliquer le CTRI dans des cas de torture ou de disparition. En septembre 2022, M’Henna a été nommé directeur du service de documentation et de sécurité extérieure.

D’autres sources indiquent cependant que Boulares était toujours en vie dans les années qui ont suivi sa disparition. Un ami de Boulares a déclaré l’avoir vu et lui avoir parlé à plusieurs reprises lors de son incarcération à la prison militaire de Blida en 1996. Toujours en 1996 l’un des officiers responsables de l’enlèvement de Boulares aurait affirmé qu’il était toujours en vie et toujours détenu à la prison militaire de Blida.

Le 25 février 2004, l’épouse de Boulares a envoyé des lettres à plusieurs administrations concernant le sort de son mari et le lieu où il se trouvait, notamment à la présidence de la République, au bureau du premier ministre, aux ministères de la Justice et de l’Intérieur. Il lui a ensuite été conseillé de s’adresser à la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme. La Commission lui a conseillé de demander à la gendarmerie d’Ain Naadja d’enquêter sur la disparition de son mari.

Le père de Boulares a donc été convoqué par le procureur du tribunal de Blida pour ouvrir un dossier sur la disparition forcée de son fils. Cependant, le procureur n’a jamais informé les proches de Boulares de l’évolution de l’affaire.

Le 22 novembre 2011, le père de Boulares a demandé une déclaration de décès par jugement conformément à l’Ordonnance n° 06-01 de 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. À l'époque, les autorités algériennes encourageaient les familles des victimes à demander un certificat de décès afin d’obtenir une indemnisation. Cette pratique a été soulignée par le Comité des Nations Unies contre la torture (CAT), qui a décrit ce processus comme « une forme de traitement inhumain et dégradant pour ces personnes, les exposant à une victimisation supplémentaire ».

Après que le tribunal de Larbaa a déclaré Boulares mort, la gendarmerie de Larbaa a contacté le père de la victime à plusieurs reprises pour l’inciter à signer des documents attestant du décès de son fils. Les gendarmes lui auraient montré un document médical confirmant le décès de son fils, sans qu’il puisse en obtenir une copie. Si le père de Boulares a fini par signer les documents afin de mettre fin aux pressions exercées par les gendarmes, il a refusé, ainsi que le reste de la famille, d’entreprendre les démarches nécessaires à l’obtention d'une indemnisation.

Compte tenu de l’absence de recours internes, l’épouse de Boulares a demandé l’intervention du Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires (GTDFI) le 31 octobre 2012. Le 15 février 2023, MENA Rights Group a saisi le Comité des droits de l’homme des Nations Unies au nom de la famille Boulares, invoquant plusieurs violations du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

La communication demande instamment à l’Algérie de libérer immédiatement Boulares s’il est encore en vie, d’entreprendre une enquête approfondie et diligente sur sa disparition et son sort, et d’engager des poursuites pénales contre les personnes responsables de la disparition de Boulares afin de les traduire en justice conformément aux engagements internationaux de l’Algérie.

Timeline

15 février 2023 : MENA Rights Group soumet le cas d’Ahmed Boulares au Comité des droits de l'homme des Nations Unies au nom de sa famille.
2014 : La brigade de gendarmerie de Larbaa rencontre le père de Boulares pour lui demander de signer des documents attestant de la mort de son fils.
31 octobre 2012 : Le cas d'Ahmed Boulares est soumis au Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires (GTDFI).
19 janvier 2012 : Le tribunal de Larbaa rend une décision déclarant le décès d’Ahmed Boulares.
2008 : Un ancien officier de la Sécurité militaire affirme avoir mené une enquête en 1996 concluant que Boulares avait été exécuté sommairement après avoir été torturé.
2004 : L’épouse de Boulares demande l’intervention de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme, de la gendarmerie d’Ain Naadja, et envoie des lettres à la présidence de la République, au bureau du premier ministre, aux ministères de la Justice et de l’Intérieur.
1996 : Le père de Boulares est informé de manière informelle que son fils est en vie et serait détenu à la prison militaire de Blida.
1995 : Le père de Boulares s’enquiert du sort de son fils à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, où on lui apprend que son fils a été tué.
Juillet-août 1994 : La Sécurité militaire effectue plusieurs perquisitions dans différents domiciles de la famille Boulares.
5 juillet 1994 : Boulares est arrêté par des membres de la Sécurité militaire.