Algérie : Les nouvelles lois sur les médias constituent un recul pour la liberté d'expression

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L'Algérie intronise son nouveau Parlement - 10 aôut 2012 © Magharebia, licensed under CC BY 2.0.

Mise à jour : Le 29 août 2023, la Loi Organique relative à l’Information est entrée en vigueur, suite à sa publication dans le Journal Officiel. Cette loi ne comporte pas de changement substantif par rapport au projet de loi, nous maintenons donc les préoccupations relevées dans notre analyse. 

ARTICLE 19 et MENA Rights Group sont préoccupés par la récente adoption par le parlement algérien d’un projet de loi organique sur l’information qui aura un impact négatif sur la liberté d'expression dans le pays. En outre, les autorités algériennes travaillent actuellement à l’adoption de deux autres projets de loi relatifs aux activités audiovisuelles et à la presse écrite et électronique. Le 7 juin 2023, les deux organisations ont souligné leurs préoccupations dans une correspondance adressée au Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d'opinion et d’expression.

Dans une analyse transmise au Rapporteur spécial sur la liberté d'opinion et d'expression le 7 juin 2023, ARTICLE 19 et MENA Rights Group ont constaté que plusieurs dispositions contenues dans ces nouveaux textes sont contraires aux normes régionales et internationales en matière de droits humains, notamment au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), tous deux ratifiés par l'Algérie. Le projet de loi ne remédie pas non plus aux lacunes du Code de l'information restrictif de 2012 qu’il entend remplacer.

Plus particulièrement, nous regrettons que la nouvelle loi sur les médias contienne encore des normes de référence vaguement formulées régissant les activités des journalistes. L’article 3 de la nouvelle loi organique sur l'information, qui reprend les dispositions du Code de l'information de 2012, prévoit que les activités des médias doivent respecter « la religion musulmane, l'islam dans le contexte national et les autres religions, l'identité nationale, les normes nationales, les valeurs morales et culturelles de la nation, la souveraineté nationale, l'unité nationale et l'unité territoriale ». La nature large et imprécise de ces normes de référence continuera à affecter de manière disproportionnée l’exercice pacifique de la liberté d'expression.

De même, le projet de loi oblige les journalistes à respecter un certain nombre de normes supplémentaires qui manquent de clarté juridique et ne sont pas compatibles avec les normes internationales en matière de liberté d’expression. Par exemple, les journalistes doivent s'abstenir de publier ou de diffuser des « nouvelles fausses ou malveillantes ».

Dans la Déclaration conjointe de 2017 sur la liberté d'expression et les « fake news », la désinformation et la propagande, l’ancien Rapporteur spécial sur la liberté d'opinion et d’expression a noté : « Les interdictions générales de diffusion d'informations fondées sur des notions vagues et ambiguës, y compris les "fake news" ou les "informations non objectives", sont incompatibles avec les normes internationales relatives aux restrictions à la liberté d'expression (...), et devraient être abolies ».

Un autre sujet de préoccupation est l’interdiction faite aux Algériens de double nationalité, de posséder ou d’être actionnaires d'un média en Algérie. Bien qu’elle ait été critiquée et qu’un membre de l’Assemblée nationale populaire ait proposé un amendement, cette disposition figure toujours dans la nouvelle loi sur les médias. En outre, les journalistes algériens travaillant pour un média étranger sont tenus d'obtenir une accréditation préalable.

En vertu de l’article 12 du projet de loi organique, « il est interdit de recevoir un financement direct ou indirect d'une entité étrangère » et les contrevenants seront passibles d'une « amende d'un million à deux millions de dinars ». Nous craignons que cette disposition ne vienne compléter les sanctions existantes dans le Code pénal qui ont été utilisées contre les voix dissidentes.

Par exemple, le 29 décembre 2022, le journaliste algérien Ihsane El Kadi, directeur de Radio M et de Maghreb émergent, a été arrêté pour avoir reçu des fonds de sources étrangères, en violation de l’article 95 du Code pénal, qui punit les personnes « recevant des fonds » susceptibles de constituer une menace pour « la sécurité nationale ou le fonctionnement normal des institutions, ou l'unité nationale, ou l'intégrité territoriale ou les intérêts fondamentaux de l'Algérie, ou la sécurité ou l'ordre public ».

En ce qui concerne les sources journalistiques, bien que le texte du projet de loi reconnaisse que « le secret professionnel constitue un droit pour les journalistes conformément aux lois et règlements en vigueur », il exige également des journalistes qu'ils divulguent leurs sources aux tribunaux sur demande. En l’absence de garanties adéquates, cette disposition portera atteinte au principe de la protection des sources des journalistes.

Tout aussi préoccupant, l’article 32 du projet de loi organique sur l’information prévoit qu'un journaliste a le droit d'accéder à ses sources sauf lorsque le sujet abordé concerne « le secret de la défense nationale, la sécurité nationale et/ou la souveraineté nationale, le secret de l'instruction, les intérêts légitimes des entreprises et le respect de la vie privée ainsi que d'autres droits ».

ARTICLE 19 et MENA Rights Group insiste sur le fait que de telles restrictions peuvent entraver l'accès à des informations d'intérêt public, ce qui peut décourager les personnes travaillant dans les médias ou dans des domaines connexes de s'intéresser à ces questions. Cette disposition risque de compromettre davantage la capacité des journalistes à fournir des informations précises et fiables.

Enfin, la réforme institue également des autorités de régulation et d'autorégulation des médias sans en assurer l'indépendance. En effet, le projet de loi organique sur l’information propose la création d'un Conseil supérieur de l’éthique et de la déontologie de la profession de journaliste, dont la moitié des membres serait directement nommée par le Président de la République.

Les projets de loi sur la presse écrite et électronique prévoient la création d'une autorité de régulation de la presse écrite et électronique, tandis que le projet de loi sur les activités audiovisuelles modifie le statut de l'autorité de régulation de l'audiovisuel créée en 2014. Les projets de loi prévoient que tous les membres des deux autorités de régulation seront nommé-es par le président de la République, ce qui soulève de sérieuses inquiétudes quant à leur indépendance.

Nous saluons l’absence de peines privatives de liberté pour les délits de presse. Cependant, les nouveaux textes ne doivent pas être lus indépendamment du code pénal, qui contient plusieurs dispositions punissant d'emprisonnement les délits de presse non violents. Deux journalistes sont actuellement emprisonnés en Algérie, Ihsane El Kadi et Mustapha Bendjama, pour avoir exercé leur liberté d'expression.

Nous recommandons que les dispositions des lois sur les médias remplacent explicitement les dispositions du code pénal concernant les délits d'expression non violents, qu'ils soient commis par des journalistes ou d'autres personnes. Cela garantira la primauté des lois sur les médias et fournira un cadre juridique qui défend la liberté d'expression et protège les journalistes d'une criminalisation ou d'un emprisonnement injustifiés.

L'Algérie occupe la 136e place sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2023 de Reporters sans frontières. Depuis 2019, au moins 11 journalistes et professionnels des médias ont été poursuivi-es et détenu-es, et les autorités ont renforcé le blocage des sites d'information et des publications critiques à l'égard du gouvernement.