December 04, 2024
A l’occasion de sa vingt-septième session, qui s’est tenue du 23 septembre au 4 octobre 2024, le Comité des disparitions forcées de l’ONU a examiné le premier rapport du Maroc, dans lequel les autorités marocaines ont détaillé les mesures prises pour mettre en œuvre la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, ratifiée par le pays le 14 mai 2013.
En préparation de la revue, le Comité a reçu différentes soumissions d’organisations de défense des droits humains nationales, régionales et internationales fournissant des informations ciblées sur l’ampleur des disparitions forcées au Maroc. Pendant la phase de pré-session, les acteurs de la société civile ont également été invités à présenter des déclarations orales devant les membres du Comité.
Cette année, grâce au soutien de la ville de Genève, MENA Rights Group a pu inviter deux défenseurs des droits humains marocains, Abdelhak El Ouassouli, membre du Comité de coordination des familles des disparus et des victimes de la disparition forcée au Maroc (CCFDM) et Ahmed El Haij, ancien Président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). Les deux défenseurs ont pu se rendre à Genève pour assister à l'examen du Maroc et mener des activités de plaidoyer.
Après une série d'échanges avec les acteurs de la société civile ainsi qu’un dialogue interactif avec la délégation marocaine présidé par M. Abdellatif Ouahbi, Ministre de la Justice, le Comité a adopté ses observations finales les 3 et 4 octobre 2024, formulant près d’une trentaine de recommandations aux autorités.
Infraction autonome
Bien que la Constitution marocaine considère la détention arbitraire ou secrète et la disparition forcée comme des crimes de la plus grande gravité, le Comité s’est montré préoccupé par l’absence d’une infraction autonome de disparition forcée dans la législation nationale, pouvant entraîner une confusion avec d'autres infractions de gravité différente.
Le Comité a ainsi recommandé au Maroc « d’ inscrire la disparition forcée dans la législation nationale en tant qu’infraction autonome. »
Justice transitionnelle et droit à la vérité
Entre 1956 et la fin des années 1990, durant la période dite des « années de plomb », le Maroc a connu un grand nombre de violations graves des droits humains telles que des enlèvements, des disparitions forcées, des exécutions extrajudiciaires et des actes de torture.
Les travaux de l’instance équité et réconciliation (IER), mise en place en 2004, ont permis d’identifier de manière générale les responsabilités de l’État dans la commission de ces violations et de mettre en place l’indemnisation de milliers de victimes et ayants droit. Néanmoins, la répression pénale des crimes commis, notamment celui de disparition forcée, n’a pas eu lieu.
Dans ses Observations finales, le Comité a recommandé au Maroc d’intensifier ses efforts pour s’assurer que toutes les disparitions forcées fassent l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales, et que les responsables soient jugés et sanctionnés en prenant compte de l’extrême gravité des actes en question. Le Comité a également insisté sur l’importance d’assurer une recherche et une identification complète des personnes disparues, notamment à l’aide d’analyses médico-légales des restes exhumés.
Non-refoulement
Alors même que l’article 16 de la Convention énonce qu’« aucun État partie n’expulse, ne refoule, ne remet ni n’extrade une personne vers un autre État s'il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être victime d'une disparition forcée », MENA Rights Group a documenté plusieurs cas dans lesquels la Cour de cassation marocaine a approuvé des demandes d’extradition risquant d’entraîner une disparition forcée dans le pays d’origine.
Pendant la revue, les autorités marocaines n’ont pas su apporter des informations détaillées sur le processus d’évaluation des risques encourus par toute personne faisant l’objet d’une expulsion, d’un refoulement, d’une remise ou d’une extradition et la possibilité d’introduire un recours contre une décision autorisant un renvoi.
D’un point de vue juridique, l’article 721 du Code de procédure pénale ne mentionne pas spécifiquement le risque de torture et de mauvais traitements en cas d’extradition, pas plus qu’il ne mentionne le risque de disparition forcée dans le pays requérant. Le Comité a ainsi exhorté le Maroc à transposer les dispositions contenues dans l’article 16 de la Convention dans la législation interne du pays.
Disparitions forcées et migrations
Le Maroc est régulièrement le théâtre de drames humanitaires touchant des personnes en situation de migration en raison de sa position géographique et de la fermeture des frontières extérieures de l’Union européenne.
Pour garantir la protection des migrants et des réfugiés contre les disparitions forcées, le Comité recommande au Maroc de tenir compte de l’Observation générale n°1 du Comité sur les disparitions forcées dans le contexte des migrations. Cette mise en œuvre implique une révision de la législation actuelle sur l’immigration, notamment la loi n°02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers, ainsi que l’introduction d’un cadre juridique national spécifique à l’asile.
Lutte contre le terrorisme et prévention de la disparition forcée
Depuis le début des années 2000 et notamment après les attentats de Casablanca de 2003, de nombreuses atteintes au droit à un procès équitable ont été documentés. La loi contre le terrorisme introduite en 2003, permet la prolongation de la garde à vue jusqu'à 12 jours et étend la période pendant laquelle les détenus sont privés de contact avec leur avocat jusqu'à six jours. Elle rend ainsi les personnes suspectées d’avoir commis des actes terroristes plus exposés au risque de subir des actes de torture ou d'autres mauvais traitements et porte atteinte à leur droit à une défense adéquate.
Pour remédier à cette situation et prévenir toute violation des droits humains pouvant être commis au nom de la lutte contre le terrorisme, le Comité a souligné l’importance d’assurer la conformité de la législation antiterroriste du Royaume avec les normes internationales sur les garanties juridiques fondamentales.
Le Comité a également exprimé sa préoccupation quant au manque d’informations détaillées sur l’application pratique des garanties prévues à l’article 680 du Code pénal et à l’article 15 de la loi n°23-98, en particulier en ce qui concerne les personnes accusées de terrorisme. Il a recommandé au Maroc de « modifier les dispositions du Code de procédure pénale et des lois sur le terrorisme, la corruption et les stupéfiants et les mettre en conformité avec les normes internationales sur les garanties juridiques fondamentales ».
Prochaines étapes
Nous exhortons les autorités marocaines à adopter une approche proactive et constructive en soumettant d’ici le 4 octobre 2028, un rapport détaillant les actions entreprises ou prévues pour résoudre de manière définitives les graves violations des droits humains commises durant les années de plomb et au-delà, conformément aux recommandations formulées dans les observations finales du Comité.